Afrique : les Parlements abandonnent leur mission de contrôle

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Dans toute démocratie digne de ce nom, le Parlement est censé contrôler l’exécution du budget de l’Etat via la loi de règlement. Celle-ci est l’une des trois types de lois de finances (initiale, rectificative) qui, à la fin de chaque exercice, permet d’arrêter le montant effectif des dépenses et des recettes de l’État et le résultat financier qui en découle. Autrement dit, c’est un bilan qui permet aux parlementaires d’apprécier la conformité de l’exécution au projet budgétaire qu’ils ont voté initialement. Cette loi de règlement est-elle effective dans nos contrées africaines?

Le vote tardif de la loi de règlement

Pour être pertinente, la loi de règlement doit intervenir assez rapidement car un contrôle effectué des années après l’exécution du budget n’aura aucun sens. C’est la raison pour laquelle dans la majorité des pays, elle doit être adoptée un an au plus tard après l’exécution du budget. Le temps est ainsi laissé au gouvernement pour collecter les données à soumettre au Parlement et à la Cour des comptes pour émettre un avis. Malheureusement, en Afrique, pendant longtemps la loi de règlement a été votée avec un décalage de plusieurs années.

À titre d’illustration, au Sénégal, la loi de règlement pour 2001 a été votée en 2010 ; en Côte d’Ivoire, la loi de règlement pour 2004 a été votée en 2012 ; au Bénin, celle pour 2007 a été votée en 2013 ; et au Togo, celle pour 2010 a été votée en 2015. Notons que dans de telles situations, la responsabilité est souvent partagée. Soit le gouvernement ne produit pas les projets de loi de règlement dans les délais, soit le rapport de la Cour des comptes qui doit les accompagner se fait attendre. Mais, même lorsque le Parlement est en possession de tous les documents nécessaires à l’examen du projet de loi de règlement, il n’en fait pas toujours une priorité. C’est ainsi que, transmis au Parlement nigérien le 7 septembre 2011 avec tous les documents requis, le projet de loi de règlement pour 2007 n’a finalement été votée que le 13 décembre 2012.

Avec l’avènement des directives de l’UEMOA de 2009, un intérêt nouveau pour cette loi est affirmé. Les Etats, pour rattraper leur retard, ont procédé à un « vote par paquet » de ces lois. En Côte d’ivoire, les lois de règlement de la période 2004-2010 ont été votées en une seule séance le 23 juillet 2012. Egalement au Niger, c’est le 13 décembre 2012 que l’Assemblée Nationale a adopté tous les projets de loi de règlement de la période 2007-2009. S’il est vrai que ce vote « en batterie » des projets de loi de règlement s’imposait aux Etats qui voulaient se mettre à jour, il n’en demeure pas moins qu’une telle démarche enlève toute portée au contrôle effectué par les députés qui sont amenés à expédier lesdites lois. Aujourd’hui, des efforts sont faits par les Etats pour rendre régulier le vote de la loi de règlement, mais d’autres obstacles empêchent un véritable contrôle de l’exécution du budget.

L’incompétence technique des députés

Par son contenu, la loi de règlement est un document comportant des concepts, chiffres et tableaux dont la compréhension n’est pas toujours facile pour les Parlementaires. Peu outillés face à l’arsenal de concepts comptables et financiers contenus dans le projet de loi de règlement et les documents qui l’accompagnent, les Parlementaires se fient au rapport de la Commission des Affaires Economiques et Financières du Parlement qui est censée faire une présentation plus simplifiée du projet de loi de règlement. Si ce rapport fait par un député pour les députés est en théorie un examen critique, il ne l’est pas en réalité car il se borne plutôt à reprendre dans leurs grandes lignes les projets de loi de règlement tels qu’ils arrivent du gouvernement. Ainsi, ne pouvant vérifier la fiabilité des informations contenues dans lesdits projets et dans les rapports de la cour des comptes, et ne disposant pas d’autres moyens d’information à leur disposition, les Parlementaires adoptent à l’unanimité et sans réserve les lois de règlement en faisant totalement confiance au juge des comptes. Le peu de temps consacré à l’examen des projets de loi de règlement et le peu de débat lors des travaux en disent long sur le manque de technicité de nos députés dépourvus de l’assistance d’experts pouvant leur expliquer les questions de finances publiques.

Un contrôle paralysé par le fait majoritaire

Le fait majoritaire se traduit par l’existence d’une majorité de parlementaires favorable à la politique mise en œuvre par le gouvernement. C’est cette situation qui prévaut dans tous nos Etats ouest africains où le gouvernement dispose d’une majorité plus que confortable au sein de l’hémicycle. L’exécutif et le législatif étant l’émanation du même parti et représentant la même base, les Parlementaires sont entièrement soumis, dévoués et incapables d’émettre la moindre critique au gouvernement. Or, l’essence du contrôle réside dans la possibilité de contester les vues du gouvernement. Cette éventualité est hypothétique dans la mesure où la discipline du parti impose aux Parlementaires d’approuver les actions gouvernementales peu importe leur pertinence. Fort de cette réalité, le contrôle de l’exécution du budget se trouve compromis. En témoigne le faible usage des procédures des questions écrites et orales ou encore celle de la commission d’enquête que peuvent déclencher à tout moment les députés pour s’assurer de la bonne exécution du budget.

Au regard de tout ce qui précède, il convient, pour un réel contrôle de l’action gouvernementale, de renforcer les capacités techniques des députés et des fonctionnaires parlementaires en matière de finances publiques, imposer plus de rigueur et de célérité dans l’élaboration des lois de règlement. Sans oublier qu’il serait indispensable de renforcer l’opposition parlementaire en consolidant institutionnellement son statut et la dotant de moyens, car c’est bien plus à travers elle que le contrôle de la dépense publique pourrait devenir plus effectif.

ZAKRI Blé Damonoko Anicet, Master en Droit public, Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO-UUA), Abidjan.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique

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