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La pieuse et la belle, ou l’histoire à plusieurs centaines de millions de dollars, des mèches indiennes en Afrique
La question est de savoir quel est le lien qui existe entre une femme pieuse en Inde et une femme africaine en quête de cheveux réunissant beauté et qualité ? En réalité, ces deux motivations opposées ont donné lieu à un business qui coûte à l’Afrique des centaines de millions $.
Tout commence vers les années 1940, lorsque des Sud-coréens visitant l’Inde en tant que touristes, découvrent que dans ce pays, les femmes lorsqu’elles veulent afficher leur plus haut niveau de piété, offrent leurs cheveux aux divinités. Un acte de croyance qui pourtant est devenu le point de départ d’un business à plusieurs centaines de millions $. Les Sud-coréens commenceront par importer ces cheveux aux Etats Unis, où les femmes noires américaines, sont en train progressivement de quitter les modes afro, pour des qualités de cheveux plus sophistiqués.
Les Africaines dont les revenus continuaient de s’améliorer avec le temps, ont commencé à entrer dans la consommation de ces nouveaux produits de luxe. Le développement du marché a surtout débuté lorsqu’en 1966, de grands pays, américains et asiatiques, interdisent les importations de cheveux, en raison de l’utilisation par certaines filières, de produits chimiques jugés dangereux, pour la conservation ou l’amélioration de la qualité des cheveux. Une barrière négligée en Afrique, qui de fait, est devenue un marché privilégié.
En réalité, le business autour de la beauté des cheveux n’a pas débuté avec la découverte des femmes pieuses d’Inde. Les Africaines, par le passé, dépensaient d’importantes sommes d’argent, pour avoir une texture de cheveux plus souple et lisse. Un choix de beauté qui avait déjà généré un gros business.
Une filière africaine soutenue par une volonté des femmes d’être en même temps belles et sophistiquées
La vente des mèches indiennes se présente comme la forme la plus élaborée de ce business de la beauté. Les femmes y sont prêtes à dépenser pour cela 3 fois le revenu minimum moyen dans la région.
La vente des mèches indiennes se présente comme la forme la plus élaborée de ce business de la beauté. Les femmes y sont prêtes à dépenser pour cela 3 fois le revenu minimum moyen dans la région.
Elles avancent ainsi plusieurs raisons à ce choix. Cela évite des séances permanentes de défrisage, en même temps qu’elles se sent belles et importantes puisqu’elles se montrent avec des actifs d’une valeur importante sur leur tête.
Avec une population de plus de 500 millions de femmes africaines âgées de moins de 40 ans, le marché de cheveux humains en Afrique est susceptible de poursuivre sa croissance, surtout que désormais beaucoup d’entre elles souhaitent avoir leur mèche indienne.
L’Inde est en effet le plus gros exportateur de cheveux naturels. Sa population est très croyante. Dans toute situation difficile, ils font appel à leurs divinités et les remercient avec des sacrifices, des dons et des offrandes. Or, l’hindouisme est une religion parsemée de différents mythes et croyances. Sacrifier ses cheveux au nom de leurs divinités, est une pratique très ancienne qui dure depuis des siècles. Vendus à des sociétés, les cheveux sont mis aux enchères et vendus au meilleur enchérisseur qui se présente sous la forme d’une chaîne d’achats composée de plusieurs intermédiaires, du principal acheteur à divers grossistes distributeurs.
Les cheveux du temple sont la source la plus abondante et la plus fiable. Chaque année, des milliers d’adorateurs font des pélerinages dans des temples où leurs cheveux sont coupés comme un acte de sacrifice, de dévouement et d’action de grâce. Une centaine de femmes et d’hommes coupent les cheveux qui sont correctement tressés avant leur coupure en prenant garde à conserver les cuticules. Grâce à cette coupe soigneusement orchestrée, les temples sont en mesure de vendre les cheveux à un prix plus élevé.
Mais même ce business des dieux a ses propres dérives. La perspective du gain pousse de nombreux opérateurs à aller dans des zones rurales indiennes, où des personnes extrêmement pauvres sont persuadées, ou forcées, de vendre leurs cheveux. Pour maximiser les gains, les responsables de ces filières, ont recours à des produits chimiques et autres composants, pour donner un air de vrai et les revendre au prix de la mèche indienne. De grande qualité.
De nouveaux pays fournisseurs dans la danse
Avec le temps, on a vu s’installer progressivement une concurrence parallèle d’extensions de cheveux en Afrique subsaharienne. Bien qu’on les appelle toujours « mèches indiennes », de récentes enquêtes menées par des médias occidentaux, ont apporté une nouvelle lumière sur les sources d’approvisionnement en cheveux.
La concurrence la plus forte vient du Brésil. A défaut d’avoir une « indienne », une Africaine qui se respecte ne rejettera pas une « brésilienne ». Les cheveux des brésiliennes bénéficient en effet d’un héritage génétique très varié qui part de l’Europe à l’Afrique. Le brassage ethnique a donné lieu à trois catégories de cheveux. Les plus lisses venant d’une origine plus européenne et les plus bouclés d’une influence génétique plus afro-caribéenne. Les mèches brésiliennes restent en réalité assez rares et extrêmement chères, le niveau de vie n’incitant autant pas les femmes à vendre leurs cheveux.
A défaut du Brésil et de l’Inde, les filières s’approvisionnent aussi dans des pays de l’Europe de l’est et des républiques eurasiatiques de l’ex-Union soviétique, en raison de la texture fine et des couleurs claires qui se prêtent plus facilement à la coloration. Les agents se rendent dans les villages et récupèrent les cheveux naturels de femmes qui n’ont souvent pas d’autre alternative que de les vendre. Ici aussi, des pratiques coutumières et de croyance, alimentent le business. Une tradition par exemple chez les femmes russes et ukrainiennes les amène parfois à couper leurs cheveux après la naissance de leur premier enfant.
Il y a enfin la Chine. Le pays est connu comme étant le point de départ de plusieurs extensions de cheveux, à l’instar de tous les produits manufacturés dans le monde. Les cheveux sont collectés dans des pays comme la Birmanie, où la Malaisie, où les croyances sont proche de l’Hindouisme. La proximité avec l’Afrique lui donne ainsi la possibilité d’écouler sur les marchés des différents pays de la région.
Difficile de savoir aujourd’hui si le commerce des extensions de cheveux en provenance d’Inde a atteint son apogée. Un commerce de cheveux plus synthétiques, moins chers, est en train de faire son bonhomme de chemin. A côté de cela, les femmes africaines, plus instruites ou plus affirmées, souhaitent de moins en moins ressembler aux stars des télévisions américaines. Elles embrassent donc de nouveaux des looks plus naturels, qui mettent en avant des coupes de cheveux plus afro-africaines.
Idriss Linge
Ecofin Hebdo