Droits de l’Homme et littérature: Un journaliste ivoirien dénonce les crimes rituels contre les albinos africains

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Qui a tué Titi le petit albinos ? Editions Bourgeons de Roses, Abidjan, décembre 2020 Ahou Christine, journaliste free-lance à Ouagadougou

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DROITS DE L’HOMME ET LITTÉRATURE / un journaliste ivoirien dénonce les crimes rituels contre les albinos africains

Dans de nombreuses régions d’Afrique subsaharienne, de très fortes croyances ancestrales fondées sur des pouvoirs magiques et diaboliques subsistent toujours. Ce sont ces croyances basées sur les sacrifices humains en général et en particulier sur les crimes rituels contre les albinos supposés apporter le Pouvoir, la Fortune, la Bonne Santé, la Guérison… Ce sont ces pratiques déshumanisantes-là que dénonce Colbert Kouadjo, le journaliste ivoirien dans son tout nouveau roman « Qui a tué Titi le petit albinos ? ».
Sacrifices humains ! Crimes rituels! En lisant le roman de Colbert Kouadjo, la question que le lecteur se pose d’abord est : « Comment peut-on parler d’une Afrique émergente et laisser prospérer tous ces obstacles épistémologiques? » page 124. En effet, Il n’est pas rare de découvrir dans un coin de rue d’une capitale africaine ou à la lisière d’une forêt africaine, le corps sans tête d’un être humain, le corps d’une fillette violée et ses parties génitales tranchées. Souvent des enfants sont kidnappés aux abords des écoles et exécutés. Leurs restes sont jetés en pâture aux oiseaux dans les caniveaux ou aux poissons et crabes dans les lagunes. Parmi ces victimes, on compte plusieurs albinos. En effet, plusieurs marabouts et féticheurs africains font croire à une partie de la population qu’on peut devenir riche et puissant en sacrifiant un albinos aux génies. Le chanteur albinos Salif Kéita, disait au cours d’un entretien sur une radio que « Les marabouts, les féticheurs qui gèrent la vie de tous les Maliens et de presque tous les Africains… demandent le sang des albinos ou certaines parties du corps des albinos. Donc nous assistons à une chasse aux albinos. »
Victimes de superstitions, les albinos subissent alors des agressions de la part des « chasseurs d’albinos » qui ne sont rien d’autre que des kidnappeurs engagés et payés grassement par des marabouts et des féticheurs à la solde des puissants hommes d’affaires et des élites en Afrique. Dans certains villes et villages africains, les corps des albinos sont exhumés et les os vendus. Selon plusieurs sources, sur le marché noir, le prix d’un membre d’albinos peut varier entre 200 à 2000 US$. Voilà pourquoi, on peut facilement imaginer le business très lucratif créé autour des albinos et que le journaliste écrivain Colbert Kouadjo nomme dans son livre, la chasse aux albinos. S’il y a la chasse aux albinos, c’est qu’il y a les chasseurs d’albinos.
Grâce au coup de projecteur de l’auteur de « Qui a tué Titi le petit albinos ? » on peut constater que ces croyances ne sont pas pratiquées dans les milieux sociaux défavorisés et par des personnes non éduquées. Comme dans la plupart des religions au monde, ces croyances concernent absolument toutes les couches sociales, incluant l’élite, les proches des gouvernants, ce qui rend la lutte contre ces croyances beaucoup plus difficile et dangereuse. Dans « Qui a tué Titi le petit albinos ? » la victime est un petit albinos, un jeune lycéen de la classe de terminale, et les bourreaux sont des proches du Président de la République : Grospin, le Directeur du cabinet du Président, Dominique, le fils unique du Président, Doukdak le ministre de l’économie et des finances.
Plusieurs ONG et journalistes dénoncent régulièrement cette pratique déshumanisante largement propagée sur le continent. Ce ne sont pas de vils faits divers que rapportent les journaux puisque la typologie des crimes rituels est bien connue : la plupart des corps retrouvés sont mutilés, avec la disparition de leurs parties génitales… sans oublier les aveux de certains criminels. Les albinos africains sont confrontés à un véritable massacre comme le fait remarquer Me Dago le frère jumeau de Titi le petit albinos à la page 123 « –La situation des albinos africains m’inquiète, confessa-t-il… Chaque jour, dans un coin du continent africain, un albinos est tué, mutilé ou violé. L’autre jour, j’ai lu un article de faits divers relatant ceci : La police nationale a arrêté des individus qui transportaient le corps mutilé d’un petit albinos dans un sac ainsi qu’une bouteille contenant le sang de leur victime.»
« Les Africains n’arrivent pas à expliquer l’albinisme c’est pourquoi ils font planer sur les albinos, les préjugés. L’albinisme est une maladie génétique non contagieuse due à l’absence du gène responsable de la production de la mélanine, qui entraîne une dépigmentation de la peau, des yeux et des cheveux. », a dit Colbert Kouadjo sur Life TV. Pourtant cette maladie génétique, suscite des superstitions sur le continent africain. Dans les campagnes, parmi les paysans, où ce phénomène est également très présent, c’est le paysan lui-même qui procède au kidnapping des albinos. Certains paysans croient qu’un os d’albinos enterré dans sa plantation lui apportera une bonne récolte. Certains Africains croient faussement qu’en couchant avec une albinos vierge, on peut guérir du sida. Cette croyance a suscité plusieurs cas de viols commis sur de jeunes albinos, sans oublier qu’elles s’exposent au sida…
En plus de ce qu’ils sont considérés comme des pourvoyeurs de chance, les albinos sont aussi considérés comme des sorciers lanceurs de mauvais sorts. Dans certaines contrées africaines le bébé albinos est assassiné dès sa naissance. Ceux qui ont la chance de vivre, sont rejetés à la rue pour ne pas porter malheur au village ou à la famille. En parcourant les rues des grandes villes de l’Afrique subsaharienne, l’on découvre des jeunes enfants albinos mendier. A cause de cette mauvaise réputation, ils sont même rejetés par l’école. En plus, ils sont considérés comme des êtres moins intelligents condamnés à la rue, exposés ainsi aux chasseurs d’albinos et aux ambitions démesurées de certains cossus du pays. Sous l’extraordinaire et fascinante beauté de ce continent se cachent des sciences occultes, qui tristement, menacent en premier les enfants, les enfants albinos sans défense. « Moi, la pire image que je n’oublierai jamais, c’est celle d’un bébé albinos dont les deux petits bras ont été amputés par des chasseurs d’albinos. Le pauvre bébé a été laissé en vie dans la broussaille pendant que ses deux petits bras servaient à confectionner des gris-gris… Heureusement, il a été sauvé par un passant. L’enfant a survécu aux blessures, mais il vit maintenant sans bras ! » page 123.
En dépit de la « Charte des Droits de l’Enfant » adoptée par certains pays africains, la loi ne peut assurer pleinement leur protection, car les croyances ancestrales sont toujours trop présentes dans l’âme et la conviction des Africains appartenant à toutes les couches sociales. On pourrait penser que les phénomènes socioculturels liés aux soi-disant pouvoirs magiques des albinos, aux sacrifices rituels, aux croyances en matière de sorcellerie disparaitraient avec le temps, or la situation actuelle démontre bien le contraire. L’O.N.U et plusieurs ONG reconnaissent à l’unanimité que ce phénomène continue de prendre une ampleur inquiétante et demande plus d’attention aux gouvernants africains. N’est-ce pas pour cette raison que le 13 juin a été décrété journée internationale de la sensibilisation à l’albinisme par l’ONU? Cette situation requiert la plus haute vigilance et un engagement des ONG, des défenseurs des droits de l’Homme et des intellectuels africains courageux comme Colbert Kouadjo.
Le roman « Qui a tué Titi le petit albinos ? » est une inspiration pour une nouvelle génération d’africains qui a soif de respect des droits de l’Homme et de respect de la vie humaine. Le combat de l’auteur contre les crimes et les graves violations des droits de l’Homme n’est pas nouveau. Journaliste d’investigation, activiste des droits de l’Homme et écrivain, Colbert Kouadjo a déjà engagé le combat dans son premier roman « Holyçane la chanteuse de jazz et les chasseurs d’albinos » paru aux Editions Edilivre Paris. Avec lui, il ne faut pas simplement s’arrêter à l’histoire, mais à ce qui se cache derrière l’histoire qu’il raconte, ce qu’il dénonce, et ce qui est sans aucun doute, son combat. Dans ses deux romans et à travers ses héros, il nous fait comprendre que le courage de combattre est inégalable, et que ce qu’il y a de plus beau dans la vie c’est: Redonner espoir à ceux qui n’en ont plus. A travers « Qui a tué Titi le petit albinos ? » Colbert Kouadjo manifeste sa solidarité aux albinos africains et sensibilise à l’albinisme.

Qui a tué Titi le petit albinos ? Editions Bourgeons de Roses, Abidjan, décembre 2020

Ahou Christine, journaliste free-lance à Ouagadougou

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