Dr Tano-Bian Jeanine (experte en cybersécurité): « Sommes-nous en sécurité dans cet espace tout numérique ? »

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Dr Tano-Bian Jeanine, experte en cybersécurité, souhaite que les populations adoptent de nouvelles habitudes de communication face à la cybercriminalité. Dans la mesure où pour elle, il n’y aucune solution durable pour y remédier.

Vous êtes enseignante-chercheur et présidente fondatrice de l’International d’Accès au Droit en Afrique (IADA).

IADA, qu’est-ce que c’est ?

IADA un est un Think thank qui a pour vocation de faciliter l’accès au droit en Afrique pour les populations en partant du territoire à l’international. Ce Think thank est un laboratoire d’idées qui va nous permettre de mettre en place un certain nombre d’actions et de les réaliser pour pouvoir permettre l’accès des populations au droit.

Quels sont vos objectifs ?

L’objectif, c’est de réconcilier la population ivoirienne avec la justice. Parce que dès lors que vous dites juges, n’importe quel ivoirien a peur. Ce n’est pas normal. Des droits et des devoirs doivent pouvoir se faire valoir devant un juge quand on est en situation de l’essai. Mais pour cela il faut comprendre les droits et les connaitre. Il faut être suffisamment informé sur ces droits-là pour pouvoir prétendre à les faire valoir devant un juge. Et même avant d’arriver au juge, il faut savoir de quoi on parlera. Voilà pourquoi, IADA existe.

Vous avez organisé une première activité qui a eu lieu le 30 mars 2019 au CAMPC, au sein de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody. De quoi s’agissait-il ?

Il était question de mettre en place un cadre de partage. Nous avons parlé de la jeunesse face à la cybersécurité.

C’était le thème ?

La causerie-débat avait pour thème : « la jeunesse face à la cybersécurité, quel défi de protection aujourd’hui ? ». Nous sommes dans un état qui commence à faire du tout numérique. Il est vraiment important pour nous. C’est vrai nous voulons avoir tous la 4G, la 5G. Mais est ce que nous sommes suffisamment protégés. Sommes-nous en sécurité dans cet espace tout numérique ?. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place ce cadre de partage afin de pouvoir expliquer à nos jeunes, l’importance de la protection d’abord, de la sécurité ensuite.

Quand vous dites protection, de quoi voulez-vous parler concrètement ?

La protection, c’est-à-dire par exemple, est ce que je partage mes données avec des gens que je connais, en étant certain que c’est uniquement ces personnes qui ont accès à mes données. Par exemple, quand j’envoie mon adresse mail, ou bien mon numéro à un ami, avec qui je suis dans le réseau whatsApp, est-ce que je suis certaine que cet ami-là reçoit seul le message et donc je n’ai pas de risque de déviation du message ou est-ce que dans la chaine, il n’y a pas d’autres éléments qu’ils peuvent utiliser demain pour un chantage à mon insu ? Quand on dit protection, c’est de savoir connaitre la limite là où j’envoie exactement mes données. Expliquer le contexte de ce passage au niveau des échanges.

Dans la protection des données à caractère personnel, vous devriez aussi associer l’Autorité de régulation des télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire (ARTCI) mais également, les opérateurs de téléphonie ?

Sachez que l’Artci a mis en place un système de reconnaissance. L’Artci, de toutes les façons, c’est l’Autorité qui fédère tous les systèmes de téléphonie. Si on touche l’Artci, inévitablement elle va nous permettre d’avoir accès à toutes ces entités qui sont des entreprises de communication. Etant donné que c’est l’autorité elle-même, c’est tout à fait évident qu’on aura plus facilement accès à ces organismes de téléphonie, implicitement.

Quelle est la population cible ?

La population cible c’est d’abord les jeunes. C’est vraiment le cœur de notre travail, C’est vrai qu’on va associer les personnes âgées et les parents dans la mesure où il y a besoin d’un partage de culture, d’expérience et de conseil. On a les parents qui nous donnent les conseils. On va se rendre compte au fur et à mesure que les jeunes sont un peu délaissés. Ils se disent qu’ils connaissent tout, mais les parents ont quand même leur rôle à jouer. Les parents et les personnes âgées seront associés dans la mesure où, ils ont des expériences même si elles ne sont pas numériques, des partages de vie qu’on n’a pas, en tant de jeunes. Donc la population, cible c’est d’abord la jeunesse, ensuite les parents et après les autres niveaux de la population qui sont tout à fait les bienvenues par rapport à IADA.

Vous êtes experte dans ce domaine, comment de façon concrète, pouvez-vous définir la cybercriminalité, la cybersécurité, et la cyberescroquerie. Et quel est le lien entre ces trois termes ?

La cybersécurité, on va dire c’est le terme global. C’est-à-dire dans la cybersécurité, on a la lutte contre la cybercriminalité mais aussi la cyberdéfense. La cyberdéfense, c’est le côté armé et la cybercriminalité c’est l’ensemble des petites infractions qui vont utiliser les canaux numériques, c’est-à-dire le téléphone, l’ordinateur. Dès lors qu’il y a des réseaux numériques qui entrent en ligne de compte et que c’est une infraction qui est commise en utilisant ces moyens ou en passant par ces moyens où à travers ces moyens, c’est la cybercriminalité.

La cybersécurité, c’est l’ensemble des organismes de protection des liens que vous allez mettre en place pour pouvoir lutter à la fois contre la cybercriminalité et assurer votre cyberdéfense. Sachant que la cyberdéfense, c’est au niveau de l’Etat, la cybercriminalité, c’est en général des individus que ce soit en groupe ou seul qui posent des actes qui sont des infractions utilisant des canaux numériques où à travers les canaux numériques. Les canaux numériques, ce n’est pas seulement l’ordinateur, vous avez le téléphone, les Tpe qui sont des moyens de paiement qui sont utilisés par exemple pour les cartes électroniques, les badges pour effectuer des paiements électroniques. On peut avoir aussi le réseau de Côte d’Ivoire Télécom ou de la Cie qui peut être utilisé comme canal pour commettre des actes cybercriminels. La cybercriminalité, c’est tout cet ensemble d’infractions qui sont commis aux moyens ou à travers des moyens numériques.

La cyberescroquerie, c’est de l’escroquerie en ligne. Quelqu’un est passé par un canal comme par exemple, l’ordinateur ou Facebook ou encore un réseau social pour escroquer de l’argent. C’est une petite partie de la cybercriminalité. Dans la cybercriminalité, vous avez cyberescroquerie, le hacking, on vole vos données en accédant à ces données sans votre autorisation, le farming, le spaming, on vous envoie des spams, dès que vous clickez dessus on accède à vos données. Et la personne copie tout le contenu de votre ordinateur sur le sien.

Pendant votre première activité, vous avez fait des communications. Quelles sont les thématiques qui ont été abordées ?

Au niveau des communications, nous avons abordé la thématique de la santé. D’où le de thème : « la santé et la cybersécurité ». Et pourquoi ? Parce qu’il y des données à caractère personnel, mais des données médicales qui entrent en ligne de compte. Nous avons le fait que nous partageons souvent des informations relatives à la santé donc nous avons le domaine de la santé mais aussi, les aspects psychologiques et psychiques du numérique sur les jeunes. Sachant que cela va agir sur le cerveau. D’où l’impact des ondes sur le cerveau.

Ensuite, nous nous sommes intéressés à la cybersécurité sous l’angle légal et juridique pour pouvoir voir l’ensemble des outils institutionnels qui ont été mis en place pour assurer la sécurité au niveau cyber. Nous avons vu les outils légaux et les outils conventionnels. Il existe quand même des pratiques qui sont mises en place au niveau juridique.

Le troisième thème, c’était le volet informatique pour montrer vraiment les accès pratiques et des outils simples comme par exemple, mettre un mot de pass, consulter des pages plutôt https qui sont sécurisées. Nous avons vu cet ensemble de dispositifs qui existent au niveau de l’informatique.

Cybercriminalité, cyberescroquerie… quelle solution durable à tous ces maux?

C’est là le gros problème. Il n’y pas de solution durable en tant que telle. C’est un domaine qui est rapide. Au moment où vous trouvé une solution, les deux minutes qui suivent ils ont déjà trouvé une autre manière de voler les données ou hacker ou utiliser de manière frauduleuse l’accès. Continuellement, ce sont des habitudes qu’il faut adopter. Ce sont des petites choses auxquelles on ne fait pas attention. Par exemple vous ne pouvez pas envoyer un message sur Facebook et dire que ce sont vos contacts qui vont l’avoir. Tous vos contacts ne sont pas forcément vos amis. C’est des pratiques que nous allons mettre en place, des nouvelles méthodes de communication en mettant une ligne rouge au niveau de la vie privée. On ne fait pas attention et on partage tout. On prend notre douche, on envoie une photo, on mange on envoie une photo, on sort pour une visite, on envoie une photo après on est étonné qu’on se fait braquer. Mais tu as donné toutes ces informations pour savoir où tu es pour pouvoir te faire braquer. Ce sont des habitudes que nous-mêmes nous devons mettre en place au fur et à mesure pour pouvoir assurer quand même un minimum de sécurité. Mais une solution durable en tant que telle, on ne peut pas garantir qu’il y en a.

En quoi consisteront vos actions ?

Des activités de sensibilisation, d’information surtout et de formation. Les jeunes vont être à même de pouvoir aborder des thèmes dont ils n’ont pas l’occasion, pas parce qu’ils ne veulent pas. Mais ils sont demandeurs. Le besoin existe. Il faudrait de manière permanente avoir une structure qui leur permette de créer ce cadre-là et de pouvoir échanger, partager, s’informer et se former.

Comment comptez-vous mettre en œuvre toutes vos actions de sensibilisation ?

Ce sont des cadres de partage que nous allons créer tout simplement. On a commencé par des causeries-débats, on peut avoir aussi une invitation à une pièce de théâtre pour pouvoir sensibiliser. On a tellement de moyens de communication en Côte d’Ivoire. On ne va pas forcément utiliser la danse parce que c’est vrai qu’elle est l’expression corporelle, mais cela ne suffit pas. Ces cadres de partage pour échanger avec les personnes pour leur permettre de poser leurs questions. C’est vraiment l’ignorance qui nous tue.

Vous en avez les moyens ?

Nous avons des moyens physiques oui. Mais les moyens financiers vont suivre. Je pense que c’est un cœur de métier dont la population a besoin. Les moyens financiers vont suivre parce que déjà, nous avons deux partenaires qui nous épaulent et qui ont promis de nous aider. Nous avons des premiers partenaires au niveau des institutions et je pense que ça va venir.

Quelle est la prochaine étape ?

La prochaine étape, c’est de partir dans les écoles. Nous avons commencé avec l’université qui était le plus haut grade. Les écoles sont un domaine qui nous appelle déjà et nous demande de créer le même cadre. En tout cas, pour ceux qui ont assisté à la causerie-débat se sont pressés de nous solliciter. Quand est-ce que nous viendrons dans les écoles ? On leur a promis que bientôt. On est en train de travailler sur cet aspect-là.

Interview réalisée par Edouard KOUDOU

edouard.koudou@fratmat.info
fratmat.info

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