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C’est quoi le Développement (4ème partie) ?
Les théories du Développement humain. Par Dr. Ben ZAHOUI-DÉGBOU
1. Le Développement Humain.
La notion de Développement Humain est apparue dans les années 1990, à titre de parallélisme avec la notion de Développement économique. Elle considère que le bien-être des êtres humains ne se résume pas seulement à l’économie et aux revenus. Le Rapport mondial sur le Développement humain du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), est la publication annuelle la plus importante sur ce sujet. Cette notion qui cherche à inclure le bien-être, et pour certains le bonheur, s’appuie sur la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Justement, selon l’ONU, dans son article n°I, de la Déclaration sur le droit au Développement de l’Assemblée Générale du 4 décembre 19861 : « Le droit au Développement est un droit inaliénable de l’Homme, en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer au Développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l’Homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés et de bénéficier de ce Développement ».
Il faut ajouter à cette définition celle du PNUD. Pour cette organisation mondiale « Le principal objectif du Développement humain est d’élargir la gamme des choix offerts à la population, qui permettent de rendre le Développement plus démocratique et plus participatif ». Ces choix doivent comprendre des possibilités d’accéder aux revenus et à l’emploi, à l’éducation et aux soins de santé et à un environnement propre ne présentant pas de danger. L’individu doit également avoir la possibilité de participer pleinement aux prises de décisions de la communauté et de jouir des libertés humaines, économiques et politiques.
1.1. Le principal théoricien du Développement Humain reste Amartya Kumar Sen.
Dans la littérature sur le Développement humain, le principal théoricien reste Amartya Kumar Sen. C’est un économiste et philosophe américain d’origine indienne, spécialiste des problématiques de la pauvreté et du Développement. Récipiendaire du prix Nobel d’Économie en 1998 pour « sa contribution à l’économie du bien-être », il enseigne actuellement à Harvard aux Etats-Unis d’Amérique. Signalons que dès la fin des années 1960, les principales publications de Amartya Kumar Sen, ont porté sur la théorie du choix social, prolongeant ainsi les travaux de Kenneth Arrow2 qui a prouvé que les procédures de choix collectifs (comme le vote ou sur le marché) ne peuvent satisfaire les critères de démocratie (théorème d’impossibilité d’Arrow). Autrement dit, l’intérêt général ne peut être défini à partir de la simple agrégation des préférences des individus : La décision au niveau collectif doit être imposée. Il faut rappeler que le théorème d’impossibilité d’Arrow, également appelé « paradoxe d’Arrow » est une confirmation mathématique, dans certaines conditions précises, du paradoxe soulevé et décrit dès 1785 par Nicolas de Condorcet3. Supposons que chaque électeur ne puisse exprimer son opinion que de manière qualitative, en indiquant comment il classe les unes par rapport aux autres les options envisagées. Entre deux options, l’électeur indique celle qu’il préfère ou s’il est indifférent entre les deux, par contre il ne peut pas exprimer l’intensité de sa préférence.
Dans ce cadre, pour Condorcet, il n’existe pas de processus de choix social indiscutable, qui permette d’exprimer une hiérarchie des préférences cohérente pour une collectivité à partir de l’agrégation des préférences individuelles exprimées par chacun des membres de cette même collectivité. En effet, pour lui, il n’existe donc pas de système simple assurant cette cohérence. Arrow tente de démontrer, sous réserve d’acceptation de ses hypothèses, qu’il n’existe pas du tout de système assurant la cohérence, hormis celui où le processus de choix social, coïncide avec celui d’un seul individu, parfois surnommé dictateur, indépendamment du reste de la population4 .
Amartya Kumar Sen, part du théorème d’Arrow qui énonce que, sous certaines hypothèses, il est impossible de trouver une procédure de choix collective et rationnelle qui agrège les préférences individuelles5. Parmi ces hypothèses, trois sont particulièrement importantes : L’ordinalité (on ne fait que classer des préférences sans mesurer leur intensité) ; L’universalité des préférences (toutes les préférences sont possibles) ; Le refus des comparaisons interpersonnelles d’utilité (on ne peut donc pas compenser une baisse d’utilité d’un individu par la hausse d’utilité d’un autre).
L’économiste et philosophe américain s’est efforcé de montrer que le problème posé par le théorème d’impossibilité réside dans le cadre d’analyse utilisé par Arrow. Ce cadre est extrêmement étroit : La seule information mobilisée pour prendre une décision au niveau collectif, est le classement individuel des différentes options proposées. Samuel Ferey et Françoise PichonMamère, (prix Nobel 1998), quant à eux, promeuvent « une théorie du choix social6 » qui prenne en considération des éléments autres que la seule utilité des individus et permette la prise en compte des enjeux de justice sociale et de redistribution des revenus. Pour Amartya Kumar Sen, les inégalités entre les individus ne s’apprécient pas au regard de leurs seules dotations en ressources, mais de leurs capacités à les convertir en libertés réelles. Il parle ainsi de la notion de « capabilités » qui invite à considérer la pauvreté au-delà des seuls aspects monétaires et à la penser en termes de libertés d’action, de capacités à faire. Dans son ouvrage « Un nouveau modèle économique. Développement, Justice, Liberté », Amartya Kumar Sen soutient, justement, la thèse selon laquelle, il n’y a de Développement que par et pour la liberté des êtres humains. Pour lui, la tyrannie, l’absence d’opportunités économiques, l’inexistence des services publics et l’intolérance sont autant d’entraves à la liberté individuelle. Il précise que le marché est nécessaire : son absence serait le déni d’une liberté fondamentale de l’échange de biens. Sa théorie a toutefois fait l’objet de critiques, notamment, car elle ne propose aucune liste des « capabilités7 » de base.
1.2. L’Indice de Développement Humain (IDH)
L’influence des études du prix Nobel d’économie 1998, s’est traduite par la création en 1990, de l’Indice de Développement Humain (IDH) par le PNUD. Cet Indice permet d’effectuer des comparaisons internationales en termes de Développement. L’IDH correspond à un indice calculé entre 0 et 1, chaque année par le PNUD afin d’évaluer le niveau de Développement des pays en se fondant, non pas sur des données strictement économiques, mais sur la qualité de vie de leurs ressortissants. L’IDH combine trois facteurs ou « capabilités » considérées comme essentielles :
• L’espérance de vie à la naissance, car elle explique les conditions de vie à venir des individus (alimentation, logement, eau potable) et de leur accès à la médecine moderne ; • Le niveau d’éducation qui détermine l’autonomie tant professionnelle que sociale de l’individu ; • Le revenu national brut par habitant, révélateur du niveau de vie des individus et ainsi de leur accès à la culture, aux biens et services, aux transports…
L’IDH se présente sous la forme d’un nombre situé entre zéro et un (0 et 1), ce dernier chiffre symbolisant le niveau le plus élevé. Cet indicateur créé en 1990 est désormais préféré au revenu par habitant qui apparaît aujourd’hui comme trop réducteur pour évaluer le niveau de Développement d’un pays. L’importance accordée à l’IDH repose sur l’idée que la liberté des hommes et des femmes dépend du Développement Humain. Quatre autres indices ont été créés pour affiner la perception du niveau de Développement :
• L’Indice de Développement du Genre (IDG), qui permet de comparer l’IDH des femmes et des hommes ; • L’Indice d’Inégalité du Genre (IIG), qui se concentre sur l’autonomisation des femmes ; • L’IDH ajusté aux Inégalités (IDHI) dont le calcul tient compte de l’étendue des inégalités ; • L’Indice de Pauvreté Multidimensionnelle (IPM), qui permet de mesurer différents aspects de la pauvreté à l’exclusion du revenu.
Rappelons que l’IDH est calculé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Il se présente comme un nombre sans unité compris entre 0 et 1. Plus l’IDH se rapproche de 1, plus le niveau de Développement du pays est élevé. Le calcul de l’ l’IDH permet l’établissement d’un classement annuel des pays. Entre 2015 et 2022, l’IDH du monde a progressé, passant de 0,717 à 0,731 (Cf. Tableau de Classement 2021 des pays africains selon l’IDH à la fin ce document).
Une étude d’Aurélien Boutaud8 montre que dans les premières phases d’évolution, dans la voie du « Développement classique » qui mène les pays les plus pauvres vers le « modèle » que représentent les États-Unis et l’Australie, le niveau de Développement Humain augmente beaucoup plus rapidement que ne croît l’impact écologique lié à ce Développement. Selon lui, dans les pays du Sud, notamment africain, l’impact écologique augmente plus rapidement que le niveau de Développement Humain, ceci dans une deuxième phase de l’évolution vers le progrès. Ce phénomène empêche les pays émergents d’atteindre l’état de Développement durable puisque, pour passer à un stade de Développement Humain supérieur, ils vont avoir tendance à privilégier des modes de vie et de consommation davantage prédateurs de ressources.
Justement, à partir d’un Indice de Développement Humain atteignant 0.900, les progrès en matière de Développement ne se font qu’au prix d’une très forte augmentation de l’empreinte écologique. Au-delà d’un IDH de 0.850, c’est essentiellement la course à la croissance économique qui est à mettre en cause dans l’agrandissement considérable de l’empreinte écologique, alors que le niveau de Développement Humain stagne. L’idée d’un Développement pouvant à la fois réduire les inégalités sociales et réduire la pression sur l’environnement, commence à naître à partir de ce constat. L’émergence du concept de Développement durable (DD) fait son apparition au début du XXe siècle (prochainement les Théories du DD).
Ben ZAHOUI-DÉGBOU Géographe – Journaliste spécialiste de Géopolitique. Docteur en Commerce International (Investissements Directs Étrangers – IDE – et Développement).