Sylvain N’guessan (politologue) : «Notre avenir est lié aux décisions que prendront messieurs Ouattara, Bédié et Soro. »

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A la tête de l’Institut de stratégies d’Abidjan (ISA), un centre de recherches, d’études et de renforcement de capacités essentiellement axées sur les questions de géopolitique, Monsieur Sylvain N’guessan est l’ un des politologues de la place les plus sollicités. En témoignent les nombreuses interviews qu’il a accordées aux médias nationaux et internationaux sur l’actualité. Nous l’avons rencontré. Il a accepté de répondre à nos questions.

Vous venez d’organiser l’Université libre de Géopolitique. Pouvez-nous dire de quoi il a été question?

L’Université libre de Géopolitique était à sa seconde édition. La première qui a eu lieu en juillet 2017 a porté sur « la pensée stratégique africaine ». La seconde qui s’est tenue du 16 au 20 juillet 2018 a porté sur « l’Afrique en 2040 : Enjeux climatiques, économiques et sécuritaires ». L’objectif principal de cette Université de Géopolitique est de fournir aux participants des outils qui vont les amener à s’approprier une grille de lecture du réel adaptée aux enjeux stratégiques du monde contemporain.

Quel était le but recherché en initiant cet atelier ?

Le but recherché, au cours de cette session, a été de susciter des échanges sur l’idée d’une Afrique à venir (2040), conçue par les Africains et pour l’Afrique. Que souhaitent les Africains pour l’Afrique loin du pilotage à vue? Comment conçoivent-ils ce souhait? Telles sont, en substance, les questions fondamentales qui ont orienté les échanges qui étaient essentiellement axés sur la stratégie et la sécurité en ces contextes marqués par le terrorisme et le piratage en mer. Permettez-nous de dire merci à la Fondation Konrad Adenauer qui nous accompagne.

Que pouvons-nous retenir de l’Afrique en 2040 selon vos échanges?

Cinq modules étaient au programme, notamment, « Qu’est-ce que la géopolitique ? » ; « Changement climatique, boom démographique et terrorisme en 2040 », « Quelle Afrique en 2040 ? ».

En effet, autour des années 2040, les relations internationales devraient connaître une modification profonde de la distribution de la puissance, marquée par la fin du monde unipolaire et donc par l’émergence de nouvelles puissances à vocation mondiale (Chine, Inde, Brésil) ou à dimension régionale élargie (Afrique du Sud, Indonésie, Turquie…). Ces recompositions devraient entraîner l’avènement d’un système multipolaire. Ces Etats ont d’énormes besoins d’approvisionnement en matières premières. L’Afrique devrait occuper une place de choix dans leur stratégie. Toutefois, en l’absence d’une politique de diversification de l’économie africaine trop dépendante des richesses naturelles, les prévisions demeureront fragiles tant elles sont liées aux fluctuations des cours des matières premières (Nigeria, Angola, Gabon, Côte d’Ivoire, Niger…) Autre préoccupation majeure du Continent : résorber les points chauds sécuritaires avec les attaques les unes aussi meurtrières que les autres des mouvements terroristes (Boko Haram, MUJAO, Aqmi, Ansar dine, EI…) sans oublier le piratage en mer.

Ces attaques ont des incidences directes sur les performances économiques, l’accès aux services sociaux de base, la stabilité des pays et suscitent des États « faillis », « fragiles ». L’on remarque que ces mouvements terroristes prospèrent dans des espaces où la nature est aride, ne parvient pas à jouer son ‘’rôle naturel’’ de mère généreuse. Changement climatique, économie, terrorisme ; des thématiques plus que jamais liées en Afrique. Quelle stratégie le Continent devra-t-il adopter pour faire face aux défis institutionnels, socio-économiques, politiques sans oublier l’adaptation du système éducatif aux enjeux géostratégiques du monde contemporain en pleine mutation ?

Justement, diverses contrées de l’Afrique sont l’objet de diverses attaques terroristes. Pouvons-nous vaincre le terrorisme à court terme?

Pendant toute une décennie, nous aurons 11 millions de diplômés par an en Afrique. Que leur réserve le marché du travail ? Faut-il les livrer au mythe de l’entrepreneuriat ? Dans la pratique, plusieurs jeunes se radicalisent face à l’absence de l’Etat ; n’ayant pas de solution devant un avenir sombre. Achille Mbembé tire la conclusion : ‘’faire la guerre est devenu un métier comme tout autre’’. Comme nous le voyons, il faudra s’attaquer aux causes réelles du terrorisme, à ce qui l’engendre. A mon humble avis, il faudra au moins une génération encore avant d’espérer venir à bout du terrorisme.

Sur le champ politique ivoirien, le débat tourne autour du RHDP unifié. Qu’en pensez-vous?

A mon humble avis, il faut laisser ce débat dans les proportions qui lui conviennent. Dans ce débat, nulle part il n’est question de viol de la constitution, même pas d’un traité international. Bien au contraire, on nous brandit la simple logique du « ôte-toi que je m’y installe. » En quoi ce débat peut-il nous sortir de cette inertie pour nous conduire vers de réelles dynamiques qui puissent nous armer pour faire face aux enjeux géostratégiques contemporains ?

Vous qui êtes passionnés de prospective, allons-nous vers une élection présidentielle apaisée en 2020?

Il faut le souhaiter ; déjà que les conséquences de la crise post-électorale de 2010-2011 sont encore visibles, vivaces. S’il faut en rajouter, vous imaginez ce qu’il en sera du devenir de nôtre Côte d’Ivoire. Ce qui pose la question du compromis politique ivoirien. Je ne parle même pas de consensus national. En l’absence du Président Gbagbo, par manque d’institution forte, notre avenir est lié aux décisions que prendront messieurs Ouattara, Bédié et Soro. Espérons que deux d’entre eux ne se liguent pas en vue d’une confrontation contre le troisième.

Sur la scène internationale, que pensez-vous de la lutte contre le terrorisme et le conflit entre les USA et l’Iran?

Quand on se voit ce qui se passe en Lybie, en Iran, en Syrie, l’on est tenté de se demander si ceux qui décident de notre destinée veulent réellement combattre le terrorisme. Que faut-il pour empêcher les orphelins de ces pays de sombrer dans le radicalisme ? Les Relations économiques internationales semblent avoir une logique qui l’emporte sur la question des droits humains.

L’on croyait le monde fatigué de ces conflits et voici que monsieur Trump bande les muscles, menaçant l’Iran, l’UE en des termes qui pourraient faire advenir une guerre économiques mondiale dont les conséquences sont difficilement prévisibles. Espérons que les dialogues amorcés çà et là puissent empêcher un conflit ouvert entre les USA et l’Iran. Ce serait le conflit de trop.

Interview réalisée par

BRIGITTE P. N’GUESSAN

CORRESPONDANTE REGIONALE

fratmat.info

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