Une parade entre ruines et larmes n’est que ruine de l’âme par Dr Kock Obhusu

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UNE PARADE ENTRE RUINES ET LARMES
N’EST QUE RUINE DE L’AME

Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres. C’est un grand jour. Un jour historique pour mon pays. Mon pays, pour ceux qui ne le savent pas, est le premier producteur mondial de bananes rouges. La banane rouge est une variété de bananes qui ne pousse que sous les cieux tropicaux. Elle est aussi appelée banane sanguinolente. Mon pays est premier exportateur de cas chaos vers la mer mediterranée et de viandes boucanées au monde. Une fois qu’on sait cela, on comprend mieux que mon pays soit aux premières loges de certaines chancelleries mondiales.
L’harmattan, ce vent sec et poussiéreux, étale son traditionnel cortège de misères en ce jour béni des dieux des cieux tropicaux. Les paysans de la république productrice de bananes sanguinolentes et de viandes boucanées sont épuisés par une longue sécheresse. Ils affichent des mines miséreuses. Le jour tant attendu est porté par un vent glacial qui en rien n’altère la détermination du peuple à graver cette journée dans les annales de l’humanité. Des minutes débridées charrient des palmiers dénudés qui bordent l’obscure lagune. Une lagune qui divise la capitale de mon pays en parts égales et qui chaque année se fait plus lasse et plus sanguinolente tant et si bien, que de son lit, on eût dit un lac repu de sang. Les cocotiers chétifs d’Anoumabo et de Cocody, villages historiques autour desquels la capitale économique s’est développée, bruissent de vacarmes et l’agitation y est à son comble. Au quartier de la Riviera, villas et commerces flambent, tout feu tout flamme. A Yopougon les habitants désertent les cases exténuées par des suroccupations sans précédents pour des destinations plus calmes dans les villages éloignés.
Sur les pistes cahoteuses du nord du pays, des milliers de paysans ont bravé la poussière ocre pour converger vers la capitale située aux abords du golfe de guinée. Ils se sont parés de la tenue des grandes occasions comme le veut la tradition. Ils portent à la taille des ceintures en fibres de jute serties d’ossements humains en guise de talisman gracieusement confectionnés par des mages venus de Sékidougou, pays de magie et de sorcellerie. Ces gueux qu’on eût dits sortis d’un autre âge et chaussés de Lèkë sont armés chacun de poignard à lame courbe et de Kalachnikov.
Les avions siglés United Nations sortis de leur sommeil déchirent davantage aujourd’hui que de coutume le ciel d’un rouge conquérant. C’est un jour extraordinaire, jour d’investiture de Losseni à la magistrature suprême. Le fils du père de la nation productrice de bananes rouges et de viandes boucanées prend la relève d’un vieil homme épuisé par des années de magistrature extrême à la tête d’un pays exsangue et proprement régenté par le Front monétaire international et la Bande mondiale.
La cérémonie d’investiture a lieu à Abobo, un immense et crasseux bidonville de la capitale. Pendant la célébration, le fils du père s’est assis à la droite de sa mère au milieu des convives. La mère de Losseni, Sally Diomandé, affiche un visage bouffi flanqué de poches flasques sous de gros yeux rouges. Elle a les sourcils des grands jours. Des sourcils à l’aspect d’une broussaille copieusement arrosée.
La fête se déroule sous un immense apâtâme de tôles ondulées. Des bancs multicolores y sont disposés en ordre circulaire. Un podium est installé au milieu du cercle. Au premier rang de l’assemblée des convives, il y a l’ambassadeur de Bako coiffé, à la mode rasta, de dreadlocks. Il est vêtu d’un immense boubou aux couleurs rouge, jaune et vert au dos duquel scintille en lettres d’argent l’inscription King of Kongs. A ses côtés sont assis quelques chefs d’Etats ouest africains venus du Mali, du Sénégal, du Togo, du Nigeria et du Burkina Faso et toutes les personnalités de ce que la communauté internationale compte de femmes et d’hommes qui se respectent quand il s’agit de festins tropicaux. Ils sont tous drapés de redingotes jaunes fluorescentes. Le second rang est occupé par des parlementaires nationaux habillés de soutanes traversées de larges bandes de couleurs orange, blanc et vert. Quant au troisième rang, il réunit les miliciens du parti du président Diomandé. Ils sont coiffés de bérets verts. Losseni, la vedette du jour, est vêtu quant à lui, d’un boubou blanc avec au dos l’effigie du Négus, l’empereur Hailé Sélassié. Il est chaussé de babouches rouges. Il a le crâne rasé et por¬te des lunettes aux montures massivement dorées.
À l’aube de sa quatrième vingtaine d’année sur terre, Losseni mène une vie digne de son rang de respectable successeur de son père, père d’une nation productrice de bananes rouges et de viandes boucanées. Une vie tout aussi riche et vé¬reuse que celle de son père. Ses frasques en ont fait l’égé¬rie des nuits des capitales africaines.
Il est midi pile lorsque la cérémonie débuta. Un silence de mort s’empara des lieux lorsque les douze cloches accrochées aux piliers du podium retentirent soudainement. La terre se mit à trembler et le ciel à s’obscur¬cir. L’atmosphère devint brus¬quement pesante et l’air irrespi¬rable.
Dans le quartier d’affaires du Plateau, le Palais présidentiel se retrouva subitement sens dessus desous. Les gardiens des lieux sont projetés avec violence hors de leurs guérites. Les pompiers accourus de Loccodjro se mirent à crier: sauvons des vies, sauvons des vies !
Et l’apâtâme se trouva aussitôt en¬cerclé par douze petits hommes aux allures extrava¬gantes chan¬tant et dansant avec fré¬nésie.
Après qu’ils eurent fini leur prestation saluée par une salve d’applaudissements et douze coups de feux, Sally Diomandé ordonna à l’assistance de prier. Les incantations de l’assemblée semblaient em¬preintes d’un ésotérisme venu de cieux lointains. Les voix de Losseni et du Président de Bako étaient parfaitement coordonnées. Sur ordre de Sally les miliciens laissèrent éclater à nouveau une salve de Kalachnikovs et dé¬buta une pa¬rade inouïe. Toute l’as¬sistance se mit à mâ-chonner des feuilles de Ganjah et à se réga¬ler d’un breu¬vage de couleur verdâtre servi dans de scintillantes patènes par de jeunes femmes complètement nues qui bre¬douillaient en sillonnant les allées:
Diable de Dieu !
Diable de Dieu !
Diable de Dieu !
Quelques instants après, tous les convives s’invitè¬rent mutuelle¬ment à des marivau¬dages sexuels. Tandis que cer¬tains hommes après s’être dépouillés de tous leurs vêtements se fo¬lâtraient fesses contre fesses, les chefs d’Etats et les personnalités de la communauté internationale se livraient à des duels en face-à-face en se chatouillant ré¬ci¬pro¬quement l’appareil génital. Leurs femmes de leur côté, en tenue d’Eve, acco¬laient leurs sexes en s’élançant dans des pantomimes ponc¬tuées de sou¬pirs:
Putains de Dieu !
Putains de Dieu !
Putains de Dieu !
Au milieu du délire et des effu¬sions fréné¬tiques, le Président Diomandé en personne se saisit d’une jeune femme de l’assistance prénommée Eburnie. Il cul-buta Eburnie dans un violent mouvement de judoka aidé en cela par le président à la coiffure rasta. Il enfonça sa verge ten¬due comme la perche d’un chas¬seur traditionnel entre ses fesses. Il s’agrippa à ses seins en forme de mangues soudaniennes et la so¬domisa tel un diable en fu¬rie. Chaque fois qu’elle se dé¬battait, il la péné¬tra un peu plus à coups de reins sou¬tenus. La jeune femme vociférait:
Continue !
Continue !
Sale couillon de Président !
De son côté, le Président Diomandé répondait:
Fakaya !
Fakaya !
Fakaya !
Il la pénétra chaque fois avec plus de cruauté. Exténué de ce labeur bestial, il invita son fils Losseni à prendre la re¬lève. Losseni releva rapide¬ment son boubou bouffant, aspergea son sexe d’un liquide verdâtre, puis pénétra la jeune femme à son tour. Eburnie hurla de dou¬leurs et saigna abondam¬ment comme un mouton de sa¬cri¬fice.
Des clameurs de joie et des ap¬plaudisse¬ments s’élevèrent de l’assistance. Une assistance en proie à l’ivresse d’une fièvre, la fièvre de la banane rouge à la viande boucanée.

Dr Kock Obhusu
Economiste

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