Interview exclusive / Lamoussa Djinko : « Il faut être dans le gouvernement pour s’en sortir »

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Lamoussa Djinko (Economiste et président du Renouveau Démocratique)

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Lamoussa Djinko (Economiste et président du Renouveau Démocratique) : « Il faut être dans le gouvernement pour s’en sortir »

Dans l’interview qu’il nous a accordée, l’économiste et président du Renouveau Démocratique , nous parle de la nécessité de faire table rase du passé. Il invite les politiciens ivoiriens à s’unir pour bâtir une nation prospère. Pour l’élection présidentielle à venir, il réclame un dialogue politique, gage d’une élection transparente, juste et inclusive.

Monsieur Lamoussa Djinko bonjour. Vous avez effectué un voyage en Europe où vous aviez rencontré des ivoiriens de la diaspora. De quoi avez-vous parlé ?

En fait, je devrais avoir une rencontre éclatée avec la diaspora. Mais il s’avère que ce jour-là, il y avait une marche de la diaspora contre la CEI. Alors, le jour d’après, j’ai pu rencontrer des ivoiriens de tous les partis politiques qui pouvaient être là ce jour. Et ce , pour échanger, faire connaissance. Nous avons aussi échangé sur l’avenir politique de notre pays. Parce qu’au-delà des enjeux électoraux, ce qui compte c’est la nation ivoirienne. Les sujets que nous avons évoqués étaient variés. Ce qui était approprié à l’effet de faire comprendre aux uns et aux autres que notre pays est malade . En tant que financer et économiste, je peux vous dire que cela fait 64 ans que le pays s’est donné une orientation politique qui n’a pas marché. Cela dit, il faudrait donc qu’on prenne, nécessairement, une pause pour faire le bilan et repartir sur de nouvelles bases. Sinon, nous serons dans l’incapacité d’offrir quelque chose de vitale à nos populations. C’est cette vérité que j’ai voulue partager avec les frères et sœurs de la diaspora que j’ai rencontrés pendant mon séjour en Europe. Avant mon départ, avec le MGC de Simone Ehivet et d’autres partis politiques, nous avons évoqué la question des élections à venir, avec notamment un dialogue politique et la restructuration de la CEI ,dans le but d’aplanir les points de désaccord avant d’aller à l’élection présidentielle de 2025. Nous avons faits des démarches dans ce sens auprès du gouvernement, sans suite favorable.

Le dialogue politique est-il important pour vous ?

Oui, le dialogue politique est très important d’autant plus est le gage d’une élection juste, transparente et inclusive. Depuis 1960, nous n’avons pas de démocratie. On a créé une société de privilégiés. Il faut être dans le gouvernement pour pouvoir s’en sortir. C’est justement pour cela que tout le monde aspire à être dans le gouvernement.

Etes-vous inquiet par le fait que vos démarches auprès du gouvernement, au sujet du dialogue politique et la question de la CEI restent sans suite ?

Mais bien sûr. Le fait de dire qu’on vous a déjà reçu il y a deux ans de cela est inquiétant. Parce que depuis deux ans, les mêmes problèmes de révision de la liste électorale, de réorganisation de la CEI demeurent. Tout ça pour dire que le problème n’est pas résolu depuis deux ans. Quand il y a des inquiétudes, des doutes, le chef de l’Etat en sa qualité de garant de la paix , a obligation de faire le sacrifice pour la paix. Il est le président de tous les ivoiriens et non le président du RHDP seulement. Il n’y a jamais une réunion de trop pour la paix. Et la paix de ce pays repose sur son dos.

Au regard de ce que vous avez dit plus haut, peut-on parler aujourd’hui de cohésion sociale monsieur le président ?

Je suis un peu déçu de mes frères politiciens. Il y a eu une implosion c’est pourquoi on veut ramener les gens ensemble. Plusieurs ministères se sont succédé sans oublier la structure chargée de la médiation. Malgré tout ça, pas de réconciliation ni cohésion sociale. Les vrais problèmes de la Côte d’Ivoire ont commencé depuis 2013 avec les questions de nationalité qui ont écarté le président Ouattara de la course présidentielle en 2000.

Si le président Ouattara qui hier était inéligible est aujourd’hui à la tête du pays, cela veut dire que e problème est réglé ?

Négatif !

Pourquoi ?
J’ai animé une conférence de presse, il y a deux mois sur la question de la nationalité. Pour indiquer qu’il y a plus d’un million d’ivoiriens que l’on continue de considérer comme des étrangers. Si le cas de ces personnes n’est pas résolu, le problème demeure. Le président Ouattara pendant 14 ans avait l’opportunité de le faire, il ne l’a pas fait.

Aujourd’hui, le président du PPA-CI, le président Laurent Gbagbo affirme qu’un 4ème du chef de l’Etat actuel serait une erreur de trop. Qu’en pensez-vous ?

Je voudrais aborder cette question sur deux volets. Le premier volet c’est qu’on a permis à Ouattara d’être là après ces deux mandats en changeant la Constitution qui ne lui permettait pas de briguer un 3ème mandat. Je fais allusion au PDCI qui à l’époque l’a accompagné dans cette forfaiture.

Vous voulez dire que le PDCI a été complice du 3ème mandat du président Ouattara ?

Mais bien sûr. Il faut arrêter les petits arrangements politiques qui ne garantissent pas la stabilité d’un pays. Le développement ce n’est pas seulement l’économie, c’est aussi la démocratie.
Le deuxième volet si des complicités internes ont permis que le président Ouattara brigue un 3ème mandat, c’est qu’il peut rempiler pour une 4ème fois. Le Renouveau démocratique dit, l’erreur a déjà été commise, donc il faut l’assumer. Et avec nous les grands constitutionalistes qui ont soutenu ce 3ème mandat.

Monsieur le président, le PDCI ne représente pas toute la Côte d’Ivoire ?

C’est vrai. Mais le PDCI est un grand parti politique qui a une certaine expérience. Fort de cela elle avait le droit de nous mettre sur le bon chemin.

Mais on peut se tromper quelle que soit notre sagesse ou expérience ?

Je suis d’accord avec vous. C’est pourquoi je voudrais inviter le PDCI à se ressaisir.

En tant qu’économiste et financier, quel est votre regard sur la dette de plus de 33 mille milliards ?

Dans une économie, la dette est normale dans une économie. Les Etats-Unis, le Japon, la France pour ne citer que ces pays, sont également endettés. La dette en soi n’est pas une mauvaise chose. Le problème en Côte d’Ivoire c’est que nous sommes à un peu plus de la moitié de notre dette en termes de PIB. Elle s’est accumulée rapidement en moins de 10 ans. Je ne sais trop pour quoi. Nous sommes à près de 60 % du PIB de notre dette. Juste pour faire quelques routes, écoles et centres de santé. Ce qui ne vaut même pas 1/10 des besoins des populations. Pourtant, il faut rembourser cette dette de plus de 33 mille milliards. La question est d’autant plus préoccupante que l’assiette de l’Etat est très petite. Notre économie n’est pas suffisamment large parce que l’argent du café-cacao qui rentre ne peut rien faire. Nous n’avons que 80 milliards de dollars d’économie pour une population de 30 millions d’habitants. Ce qui revient à dire 133 000 FCFA /habitant. Une somme qui n’est pas loin du SMIG de 75000 FCFA. En conclusion, nous sommes très, très pauvres.

Votre recette pour sortir de ce traquenard économique dans lequel on s’est mis ?

Depuis 2007 je ne cesse de répéter que le Franc CFA qu’on nous a imposé depuis 1945 a asphyxié l’économie du pays.

Quel est l’avenir de ce Franc CFA ?

L’avenir de cette monnaie c’est que les nouveaux leaders politiques vont sortir de cette monnaie. C’est tout. Et s’ils ne le font pas c’est qu’ils n’ont rien compris. Parce que notre économie doit être interne d’abord avant d’être externe. Aucune économie ne doit dépendre de l’extérieur. C’est pour cela le Renouveau démocratique, mon parti propose de réorienter l’économie de la Côte d’Ivoire en sortant du Franc CFA. C’est d’ailleurs pourquoi je plaide pour une monnaie commune au sein de l’UEMOA avec nos frères de l’AES qu’i faut ramener au sein de la communauté économique ouest africaine.

Un mot sur la dissolution de la FESCI ?

La FESCI est un cadre qui permet aux étudiants et élèves de discuter de leurs problèmes. Nous n’avons que 4% de nos enfants qui vont à l’université. Et quand ils finissent ils n’ont pas d’emploi. Après 60 ans l’Etat a échoué face aux problèmes des étudiants. Ce n’est pas en dissolvant leur seul moyen d’expression qu’on aura résolu le problème. La dissolution de la FESCI n’est pas bonne, ce n’est pas démocratique.

Et si la mission originelle de la FESCI est dévoyée ?

Il faut tout simplement les ramener à la raison et au besoin leurs rappeler leur mission en leurs prodiguant des conseils . C’est le devoir du gouvernement. C’est une fuite en avant que de dissoudre la FESCI.

Que pensez-vous de la trêve sociale qui, manifestement, a été rompue avec les dernières grèves des fonctionnaires ?

Le rôle de l’Etat, ce n’est pas de punir, hausser le ton ou frustrer. Le rôle d’Etat, c’est de travailler à la stabilité sociale. La grève est un moyen de revendication. Faire grève, ce n’est pas défier l’autorité de l’Etat. Et quand des responsables sont frustrés ça ne peut que créer ce qu’on a vu avec les dernières grèves des enseignants et autres fonctionnaires.

Votre dernier mot ?

Il faut que nous soyons honnêtes quel que soit notre parti politique. Il est temps qu’on fasse un arrêt pour pouvoir repartir sur de nouvelles bases. Parce que la violence ne peut pas résoudre notre problème.

Réalisée par Pierre Kalou

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