Une question de vie ou de mort par Dr Kock Obhusu

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UNE QUESTION DE VIE OU DE MORT

Nous sommes un vendredi du mois de mai de l’année deux mille neuf cents. Il est six heures du matin. Le réveil sonne. Et je me réveille. Je me sens un peu fatigué. Mais qu’à cela ne tienne, il faut que je me lève, si je veux avoir le temps pour moi. On dit souvent que le temps ne compte pas. Mais ce que je sais d’expérience est qu’il faut compter avec le temps. Je me lève donc. Je prends place sur le rebord du lit. Comme je ne fume pas, il ne me reste plus qu’à allumer la radio. J’allume comme de coutume la radio. Histoire de me laisser enfumer par les nouvelles chaque jour plus fumeuses les unes les autres. Une ration d’enfumage, ça peut faire parfois un peu de bien. J’ai raté les informations générales, du général devrais-je dire. La voix qui officie ce matin est une voix féminine. Une voix douce, calme et apaisante. J’imagine son auteure radieuse et ravissante à l’image d’Irène. Irène, c’est ma femme. Elle passe au filtre les annonces nécrologiques. Le temps de sortir complètement de mon sommeil pour me préparer à partir à l’aéroport pour un départ dans les profondeurs des mers, à Belize, j’écoute. Je n’ai pas l’habitude de suivre les annonces nécrologiques. Mais aujourd’hui, je ne sais pour quelle raison, j’ai décidé de les écouter exceptionnellement. Et subitement, ce que j’entends est terrible voire ahurissant.

J’en suis terrifié. La journaliste annonce ma mort. Oui, ma mort. Elle ajoute même que mes obsèques auront lieu dimanche au cimetière communal de Williamsville. Elle adresse le communiqué spécialement à ceux qui partagent la peine de ma famille. La douleur de mes enfants. Mon fils Anthony et ma fille Clara.  Celle de ma femme Irène, celle de mes parents et celle de mes amis est, j’imagine, profonde. C’est, à cet instant que je réalise que ma femme n’est pas dans le lit. Je regarde dans tous les coins de la chambre. Pas l’ombre de ma femme. Je me dis qu’elle s’est levée plus tôt que d’habitude et qu’elle est certainement descendue au rez-de-chaussée, situé à deux niveaux plus bas, pour s’occuper des derniers ajustements de mon voyage. Je l’appelle. Je reçois ma propre voix en écho. Une voix qui grésille et qui s’offre à mes oreilles désordonnée et indéchiffrable. Je me décide à faire le tour de la maison. Je ne vois personne. Autour de moi, le silence règne en maître. C’est le vide, un vide absolu. Il règne un silence de mort. Où est passée Irène. Où sont passés mes enfants. Où est passé mon cousin Léonard qui vit avec nous. Je regarde dans toutes les pièces de la maison, je ne vois personne. Le silence qui emplit la maison est lourd et pesant. Même mon chien, mon chien Oris est aussi absent. Je suis devenu un homme mort. Mais la moindre des choses eut été d’assister à mon propre enterrement qui a lieu dans deux jours et surtout à participer activement l’organisation de la cérémonie mortuaire au côté de mes proches et de mes amis. Je devrais être là, à pleurer avec ceux qui me pleurent, à partager leur peine, leur douleur. C’est terrible. Je soupire, histoire de prendre un peu d’air, de m’oxygéner un peu.

Je réfléchis à ce qu’il convient de faire. Partir à Bélize ou rester. Je prends la décision de partir. Je décide de ne pas interrompre mon voyage aux confins du monde. Pour cela, je garde tout mon calme. En pareille circonstance, il faut parfois savoir garder son calme. Cela aide à tranquilliser ceux qui ressentent la peine. Aussi tranquillement que possible, je prends ma douche et je m’attèle à faire moi-même mon petit déjeuner. Ce n’est pas dans les habitudes. Mais nécessité faisant loi, je me suis résolu à le faire. J’ai jeté un coup d’œil rapide dans ma valise qu’Irène avait préparée la veille. Rien ne manque. Tout y est. Je suis prêt. Mon chauffeur, A. Lassana,  étant lui aussi absent de la maison, j’ai pris la clé de la voiture, mon billet et mon passeport puis je fonce en direction de l’aéroport Félix Houphouët Boigny. Mes obsèques auront lieu sans moi. Je pars loin de l’Afrique, loin de mon Afrique. Je verrai tout çà à mon retour. Le temps presse.

C’est une question de vie ou de mort.

Docteur Kock Obhusu
Économiste, Ingénieur en ingénierie sociale

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