Assimi Goita: pourquoi le coup d’État est applaudi au Mali mais critiqué chez les voisins

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Les foules se sont réjouies après la prise de pouvoir par un groupe d’officiers militaires au Mali, mais tout le monde n’est pas content, écrit Paul Melly, analyste spécialiste de l’Afrique de l’Ouest.

Des négociations seraient en cours concernant le sort d’l’Ibrahim Boubacar Keïta, contraint à démissionner de ses fonctions de président du Mali lors d’un coup de force mardi et actuellement détenu avec son fils, son Premier ministre Boubou Cissé et plusieurs autres hauts responsables du gouvernement.

Mais depuis, la Cedeao, l’organisation sous-régionale à laquelle appartient le Mali, a adopté une ligne dure, les chefs d’État membres ayant lancé un appel au rétablissement de M. Keïta dans ses fonctions de président de la République.

L’homme, âgé de 75 ans, a annoncé sa démission forcée dans une déclaration télévisée mardi vers minuit, apparemment depuis une salle de la base militaire de Kati, à 15 km de Bamako, où lui et M. Cissé avaient été emmenés par des soldats dans l’après-midi.

Cette décision est intervenue après plus de deux mois de confrontation avec une alliance d’hommes politiques de l’opposition et de la société civile, le M5-RFP, au nom de laquelle des foules massives ont organisé une série de manifestations de rue habilement dirigées par l’imam charismatique Mahmoud Dicko.

Les manifestants n’avaient qu’une revendication principale : la démission de M. Keïta, bien que M. Dicko se soit retenu de l’exiger lui-même explicitement.

Dans les négociations menées par la Cedeao, M. Keïta avait fait concession sur concession, mais n’avait jamais cédé ni son fauteuil présidentiel ni les réformes décisives qui auraient clairement mis fin à sa maîtrise de la machine étatique.

Cela ne suffisait plus et finalement, un groupe d’officiers supérieurs a décidé de mettre fin à son règne. Mais la Cedeao n’est pas prête à accepter ce changement de pouvoir anticonstitutionnel et son envoyé spécial, l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan, est revenu à Bamako pour parler aux putschistes. Des négociations difficiles dont personne ne sait comment elles vont se dérouler.

Une occasion manquée
Lorsque des coups de feu ont été entendus provenant de la caserne Kati mardi, il n’a pas été immédiatement évident qu’il s’agissait d’autre chose que d’une mutinerie de simples soldats en colère contre la corruption de haut niveau alors qu’ils risquent leur vie dans la guerre contre les djihadistes du nord.

Mais alors que des véhicules militaires ont fait irruption dans Bamako pour arrêter M. Keïta et une série de personnalités, il est apparu clairement que quelque chose de beaucoup plus important était en cours.

L’exaspération suscitée par M. Keïta s’est étendue bien au-delà du face-à-face avec les manifestants au cours des derniers mois.

L’espoir suscité par les slogans sur la restauration de la fierté nationale qui l’avaient conduit à la victoire électorale sur le technocrate Soumaïla Cissé en 2013 s’était depuis longtemps évanouie.

Les partenaires internationaux ont été consternés par le fait que M. Keïta n’a pas su utiliser sa popularité précoce pour fédérer politiciens et populations autour de lui et trouver les compromis nécessaires à la mise en œuvre effective de l’accord de paix d’Alger avec les séparatistes touaregs du nord. Son approche dilatoire a laissé un vide dans lequel le terrorisme pouvait prospérer.

Mais pour les Maliens, en particulier dans le sud et le centre, où vivent la plupart d’entre eux, l’administration de M. Keïta a été particulièrement ternie par une série de scandales de corruption, sapant parfois les services de base tels que la fourniture d’engrais aux agriculteurs pauvres, et des scandales sur le train de vie ostentatoire de l’élite dirigeante.

Le président a été facilement réélu en 2018, car les opposants traditionnels et une série de nouveaux groupes centristes n’ont pas réussi à établir un front commun.

La question qui a finalement déclenché la montée massive de la colère populaire qui s’est répandue dans les rues de Bamako cette année était plutôt étroitement politique : la décision de la Cour constitutionnelle d’annuler les résultats des 31 sièges parlementaires lors des élections tenues en deux tours en mars et avril.

Cette décision a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Elle est intervenue à un moment où les sentiments étaient déjà à vif après que des groupes armés ont enlevé le leader de l’opposition Soumaïla Cissé alors qu’il était en campagne. Il est toujours retenu otage.

Vacances en bateau

Puis, après les mesures de restrictions imposées aux habitants de Bamako à cause du Covid-19, et alors que les soldats maliens continuaient à sacrifier leur vie dans la guerre dans le nord, des images sont apparues montrant le fils du président, Karim, président de la commission parlementaire de la défense, en vacances à bord d’un yacht à l’étranger. Des images qui n’ont pas pu être vérifiées et qui étaient peut-être anciennes.

Karim Keïta lui-même a insisté sur le fait qu’aucune dépense publique n’avait été engagée, pourtant, les images ne pouvaient qu’alimenter davantage la perception d’un cercle présidentiel en quelque sorte désengagé et éloigné de la réalités des multiples crises que le Mali traverse.

Pendant tout ce temps, le Premier ministre de M. Keïta s’est efforcé de trouver une voie politique et de s’attaquer aux vrais problèmes du pays. Mais Boubou Cissé n’avait pas le poids personnel nécessaire pour sauver l’administration assiégée.

La médiation de la Cedeao progressait, mais lentement. Et puis, cette semaine, les soldats sont intervenus.

Et maintenant, où va le Mali ?

À très court terme, la Mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali (Minusma), les forces anti-terroristes françaises (Barkhane) et les unités militaires nationales déployées dans le nord et le centre devraient pouvoir maintenir plus ou moins stable la sécurité.

Mais leur position est fragile et les groupes djihadistes se sentiront rassurés si l’on tarde à s’entendre sur les modalités d’une transition, de nouvelles élections et d’un gouvernement intérimaire accepté par la communauté internationale.

M. Dicko a déjà fait savoir qu’il ne jouerait pas un rôle de premier plan à ce stade.

L’imam influent a déclaré son intention de se retirer de la politique pour le moment, bien qu’il restera une figure influente, s’il choisit d’exercer cette influence.

En attendant, beaucoup de choses dépendent des pourparlers attendus entre les putschistes, le M5-RFP et la Cedeao.

BBC

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