Le financement des écoles maternelles privées risque de coûter cher aux grandes villes

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Le projet de loi Blanquer prévoit de rendre obligatoire la scolarisation dès l’âge de trois ans. La plupart des grandes villes redoutent le coût de cette mesure, qui pourrait s’élever à plusieurs centaines de milliers d’euros par an.
« Un énorme problème », « une double peine », « une douche froide »… Les élus des grandes villes, de gauche comme de droite, n’ont pas de mots assez durs pour parler des conséquences financières du projet de loi Blanquer , présenté ce lundi.

Le texte traduit l’annonce du président de la République d’ abaisser l’âge de l’instruction obligatoire de 6 à 3 ans , dès 2019. La loi contraint aujourd’hui les communes à financer les écoles élémentaires privées à la même hauteur que les écoles publiques. Si le coût d’un enfant scolarisé dans une école élémentaire publique est de 800 euros par an, la commune doit verser aux écoles privées un forfait du même montant.

L’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à l’âge de 3 ans va conduire les communes à faire de même pour les écoles maternelles. Certaines collectivités participent déjà au financement des maternelles privées. Elles s’attendaient à recevoir une compensation de l’Etat. Mais toutes n’y auront pas droit.

« L’Etat ne va compenser financièrement qu’une minorité de communes, qui sont celles qui ne participaient pas du tout au financement des maternelles », déplore Benjamin Vételé, adjoint en charge de l’éducation au maire de Blois. Sa ville verse déjà 300 euros par enfant scolarisé en maternelle privée, pour un coût réel de 1.200 euros. « Il y aura donc un delta de 900 euros par an et par enfant » pour la commune si l’organisme local de gestion de l’enseignement catholique (Ogec) réclame une revalorisation du forfait communal à hauteur du coût réel.

« Une double peine »
Une ville qui a souscrit un contrat d’association pour financer les maternelles privées mais qui, par un accord local avec l’Ogec, a décidé de ne verser qu’une partie du forfait communal est « hors la loi », soutient-on dans l’entourage du ministre de l’Education.

Seules les communes qui ne versaient aucune aide aux écoles maternelles privées seront donc aidées financièrement, selon le projet de loi. Le gouvernement a prévu 40 millions d’euros pour cette compensation, là où Damien Berthilier, adjoint au maire de Villeurbanne et président du Réseau français des villes éducatrices (RFVE) estime qu’il faudrait de l’ordre de 150 millions d’euros.

« C’est une double peine pour celles qui ont fait un effort avant l’heure, car les communes qui n’ont jamais rien payé pour les écoles maternelles privées recevront une compensation de l’Etat », regrette Marion Lalane de Laubadère, adjointe au maire de Toulouse.

Les communes qui ne finançaient pas les écoles maternelles privées devront, par ailleurs, négocier rapidement une convention avec les Ogec. Car, pour déterminer le montant de la compensation financière, l’Etat va comparer ce que versait la commune durant l’année scolaire 2019/2020 avec l’année 2018/2019. Or, la loi ne sera pas débattue au Parlement avant début 2019.

« Guerre scolaire »
« On se lance dans une usine à gaz gigantesque, organisationnelle et financière », déplore encore Damien Berthilier qui prédit que le gouvernement est en train de « rouvrir la guerre scolaire ». « Quand, dans une même ville, vous serez obligés d’expliquer que vous allez diminuer des moyens pour des écoles publiques parce qu’il faut financer davantage les écoles privées, personne ne pourra comprendre », dit-il encore.

« La compensation financière porte aussi sur le public », rétorque-t-on au ministère de l’Education, où une enveloppe supplémentaire de 40 millions d’euros a été prévue. Le taux de scolarisation en maternelle étant de 97 % en métropole, cette enveloppe devrait surtout servir à l’outre-mer, où les taux de scolarisation en maternelle sont, par exemple, de 50 % à Mayotte ou de 70 % en Guyane.

Surcoûts
Les grandes villes sont en train de faire leurs comptes. Les surcoûts se chiffrent souvent en plusieurs centaines de milliers d’euros par an, voire plus. A Villeurbanne, on estime le coût du différentiel à plus de 1 million d’euros. A Toulouse, il serait de l’ordre de 600.000 à 1 million d’euros. En Bretagne, où nombre d’enfants sont scolarisés dans l’enseignement privé, les élus sont très inquiets. Mais, selon nos informations, les villes de Bordeaux, Perpignan, Lyon ou encore Le Havre seraient aussi concernées.

A Paris, l’adjoint à l’éducation Patrick Bloche évalue le coût de l’abaissement de l’instruction obligatoire à 12 millions d’euros. La Ville ne verse aux écoles élémentaires privées « que ce à quoi elle est contrainte en vertu de la loi », dit-il, mais cette somme est ensuite « répartie entre les maternelles et les élémentaires ». Cela dit, comme la Ville n’a pas souscrit de contrat d’association pour les maternelles, elle serait a priori éligible à la compensation de l’Etat…

LES CHIFFRES CLEFS
26.000. C’est le nombre d’enfants non scolarisés en maternelle

97 %. C’est le pourcentage d’enfants déjà scolarisés en maternelle en métropole

50 %. C’est le pourcentage d’enfants scolarisés en maternelle à Mayotte

70 %. C’est le pourcentage d’enfants scolarisés en maternelle en Guyane

Marie-Christine Corbier

lesechos.fr

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