Alafé Wakili : “ce qu’on m’a prédit au départ de l’Intelligent d’Abidjan “

1789

[ Publié / Modifié il y a

En prélude aux festivités consacrant le 15e anniversaire du quotidien ivoirien L’Intelligent d’Abidjan, dont l’une des articulations majeures est le dîner-gala prévu le vendredi 7 septembre 2018, au Sofitel Hôtel Ivoire, à Cocody, le journaliste Alafé Wakili, Directeur général (Dg) de la société Socef-Ntic, éditeur dudit quotidien, situe l’enjeu de ce rendez-vous de prestige dans cette interview qu’il nous a récemment accordée.

Quels enseignements tirez-vous de vos 15 ans d’existence ?

Nous en tirons de nombreux enseignements. J’en retiendrai deux, l’un positif, l’autre moins optimiste. Au plan positif,, malgré les difficultés que la presse papier rencontre, nous constatons qu’il existe encore une grande attente, et une forte demande en matière de presse écrite quotidienne. Nous en voulons pour preuve l’engouement que nous connaissons, toute la mobilisation qui s’est faite autour de l’AMF (Abidjan Media Forum) que nous organisons. Toute l’année 2018 nous a permis de mobiliser des énergies formidables autour de ces 15 ans de L’Intelligent d’Abidjan avec des événements majeurs (Paris, New-York), qui sont venus confirmer notre rayonnement à l’international. Le côté moins optimiste est que la situation de la presse quotidienne écrite reste fragile. Faire vivre un quotidien est un combat de tous les jours. Il s’agissait justement pour nous d’interpeller là dessus. C’est pour cela qu’en marge de la réjouissance, nous avons mis de la réflexion, pour s’interroger sur l’avenir de la presse, au delà de la question de la liberté de la presse.

Pourquoi avez-vous décidé de faire une célébration sur plusieurs mois avec les étapes de Paris, de New York et d’Abidjan?

Nous avons des correspondants à Paris et New-York, nous y avons aussi des lecteurs et des partenaires. L’Intelligent d’Abidjan est certes un quotidien ivoirien, mais nous avons voulu montrer le caractère international de notre journal. Il s’agissait aussi de retrouver tous ceux qui nous accompagnent depuis toujours et qui sont dans ces pays, et qui sont ivoiriens . Notre journal, comme d’autres médias du pays , reste pour nos compatriotes qui sont à l’étranger , en particulier à Paris et New-York, un lien avec leur pays. Au-delà de l’information, ils y retrouvent des lieux, des gens. Le journal reste quand même un « media chaud », par opposition à internet qui est un « media froid ».

À combien évaluez-vous cette célébration ?

Pour cette célébration, nous avons mobilisé des ressources importantes grâce à nos partenaires. Le moment venu nous ferons le bilan. Mais sachez que cela coûte cher, et nous a donné des sueurs froides avec l’angoissante question du bouclage du budget. Le but est de mobiliser autour de la liberté de la presse et du soutien à la presse écrite. Or, chacun sait que l’argent est le nerf de la guerre.

Vu la crise du papier avec l’avènement du numérique, y a-t-il eu des moments où aviez eu l’envie de jeter l’éponge ?

C’est évident que la concurrence déloyale de l’économie numérique de l’information donne parfois l’envie de jeter l’éponge. Mais, la passion du journalisme, de la presse écrite, nous pousse à continuer. Nous voulons aussi maintenir ce marqueur fort de la démocratie qu’est la presse écrite libre et indépendante. Par ailleurs, quand on regarde un média numérique crédible et rentable, les difficultés, en matière d’investissement, sont tout aussi importantes. Nous, nous cherchons trois choses : maîtriser les coûts fixes comme le prix du papier, améliorer la distribution, qui est le point faible de la presse écrite en Afrique, et coupler le journal papier au net, l’un renvoyant à l’autre. Ignorer les nouvelles technologies aujourd’hui, c’est comme vouloir ignorer l’électricité au moment de sa création. Dans tous les cas, cela demande énormément d’énergie et de ressources. À côté de chaque raison d’arrêter, il y a dix raisons de ne pas arrêter.

Comment êtes-vous arrivé à juguler cette situation ?

Quand on interroge le nigérian Dangote, sur le secret de sa réussite, il donne trois explications : 1) le travail 2) le travail 3) le travail. C’est évident, il faut travailler sans relâche. J’y ajoute la passion et le désir de bien faire. La reconnaissance ne peut venir que d’un travail bien fait, les lecteurs savent reconnaître le bon travail, l’histoire se souvient toujours du combat des journalistes pour faire vivre le droit d’informer et consolider la démocratie. Si je travaillais uniquement pour un gain matériel immédiat, ou une reconnaissance immédiate, j’aurais changé de métier. Je m’inscris dans une vision de longue durée. 15 ans après, et avec cette célébration, c’est un peu le début des récoltes.

Quel est votre secret pour avoir pu maintenir votre titre sur le marché pendant 15 ans ?

La réponse figure dans ce que j’ai dit à votre question précédente. J’ajoute deux choses : aller vers toujours plus de professionnalisme et le désir permanent de relever un défi. Au départ, on m’a prédit que je ne tiendrais même pas six mois. Voici 15 ans que L’Intelligent d’Abidjan existe, témoin de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, de l’évolution de notre société, de la transformation de l’Afrique. Le rôle d’un quotidien est d’être à la fois, dans une logique « grand public », le témoin de son temps, une sentinelle exigeante, un lanceur d’alertes et une aide à la compréhension du monde et de son évolution.

Le vendredi 7 septembre prochain, au Sofitel hôtel Ivoire de Cocody, vous prévoyez un panel intitulé « Abidjan média forum ». Qu’est-ce qui motive l’organisation de ce temps de réflexion ?

Au delà de la fête, nous voulions réunir des professionnels pour réfléchir sur notre métier, réunir des décideurs , des dirigeants, la société civile et le grand public pour partager des expériences sur la liberté de la presse et aborder les thèmes majeurs du moment, tels que l’immigration clandestine, l’emploi des jeunes, la salubrité, le développement durable et la modernisation de l’administration. Nous voulons que la notoriété de L’Intelligent d’Abidjan serve à créer et organiser des lieux de rencontres et de débats. L’Afrique s’ouvre aux idées. Un journal doit être un pourvoyeur d’idées.

Quel est l’enjeu sous-tendant les thématiques « La liberté de la presse face aux enjeux de la rentabilité économique » et « Y a-t-il une vie après le journalisme ? » soumises au crible de la réflexion ?

Au terme de cet Abidjan Media Forum, nous voulons proposer une « Charte d’Abidjan » sur la liberté de la presse. Il existe un baromètre de la liberté de la presse avec le classement annuel de Reporters Sans Frontières (RSF), et aussi une mise en exergue des prédateurs de la liberté de l presse. Dans ce sillage, nous voulons mettre en lumière eux qui favorisent la liberté de la presse, voir comment nous devons la renforcer. La question qui revient sans cesse, lorsqu’on est journaliste est la suivante : « existe-t-il une vie après le journalisme ? » Ou bien faut-il résister à toutes les tentations, à toutes les offres pour rester journaliste jusqu’au bout ? Nous avons voulu lancer ce débat.

Des panélistes et non des moindres d’ici et d’ailleurs, dont Zio Moussa (Olped), Constant Némale-Pouani (Africa 24), Marwane Ben Yamed (Jeune Afrique), Jean-Baptiste Placca (Rfi, La Croix) sont invités pour animer ce forum. Comment s’est fait leur choix?

Nous avons choisi les meilleurs. Nous n’avons essuyé aucun refus. Certains n’ont pas pu venir à cause de leur emploi du temps. L’idée est, bien sûr, de bénéficier de cette expérience des meilleurs, du regard qu’il porte sur l’Afrique.

Les festivités marquant ce 15e anniversaire seront meublées d’un dîner-gala avec le « nouveau petit prince » de la rumba congolaise, Héritier Watanabé. Quelles seront les grandes articulations de cette soirée de prestige?

Au cours de cet événement de prestige et du dîner de gala, nous allons, dans une ambiance conviviale, décerner des récompenses à ceux qui agissent en faveur de la liberté de la presse. Il nous paraît important de célébrer ceux qui défendent la presse quotidienne écrite. Nous aurons l’occasion de les remercier, mais déjà permettez-moi de profiter de vos colonnes pour dire merci à Monsieur le Premier ministre, ministre du budget et du portefeuille de l’État, SEM Amadou Gon Coulibaly, haut patron de nos événements, à Monsieur le ministre d’État Hamed Bakayoko, et à Monsieur le ministre Alpha Barry, co-parrains, à Mme Amy Toungara, à notre ministre de tutelle, Sidi Touré. La liste n’est pas exhaustive. Les artistes Shaoleen, Daisy, Agalawal, Dj Ramatoulaye, ainsi qu’un spectacle de mîmes, seront de la partie sous la direction de Yves Zogbo Junior. Cet événement doit renforcer les liens entre tous ceux qui veulent que la presse quotidienne écrite vive.

Pourquoi avez-vous choisi cet artiste congolais en guest-star pour un double concert aussi bien au gala qu’au Palais de la culture de Treichville ?

La culture est transgéographique, la musique unit tous les peuples. Il existe une identité culturelle africaine. C’est aussi le défi de l’ouverture. Nous avons choisi un artiste qui n’était pas encore venu en Côte d’Ivoire. C’était là aussi un grand défi. Nous pensons que nous sommes en train de relever le défi de l’ouverture au monde. Héritier Watanabe est le Prince de la « rumba congolaise ». La rumba est une musique qui vient de Cuba et d’Amérique latine. Elle se danse aujourd’hui partout dans le monde. Métaphoriquement, ses pas de danse incarnent un jeu de séduction entre la femme et l’homme. Question : qui gagne à la fin de la danse ? Cette danse s’inscrit bien dans l’imaginaire africain. Voilà pourquoi nous avons choisi Héritier. Il sera soutenu par de nombreux artistes ivoiriens au Palais des congrès de l’hôtel ivoire, ainsi qu’au Palais de la culture. L’histoire retiendra que c’est un quotidien ivoirien qui a permis l’entrée en scène d’un artiste promoteur en Côte d’Ivoire.

Sylla Arouna et Diarra T, (Soir Info du 6 septembre 2018)

L’Intelligent d’Abidjan

PARTAGER