Rosatom au Niger: quand le nucléaire devient un outil d’influence russe

273

[ Publié / Modifié il y a

Derrière ses airs de coopération énergétique, la présence de la Russie au Niger prend les contours d’une stratégie d’influence bien rodée. À travers sa société publique Rosatom, créée en 2007, Moscou ne cherche pas seulement à exporter son savoir-faire nucléaire: elle exporte aussi son modèle politique et économique. Rosatom, qui regroupe plus de 350 entreprises et instituts, agit à la fois dans le nucléaire civil et militaire, faisant d’elle un instrument direct du Kremlin.

Depuis quelques années, la Russie multiplie les partenariats énergétiques dans les pays émergents : Égypte, Turquie, Inde, Chine, Kazakhstan… et désormais le Sahel. Au Niger, un accord a été signé pour la construction de deux réacteurs nucléaires d’une puissance totale de 2000 mégawatts. Le projet inclut la formation du personnel, la recherche médicale et l’exploitation de l’uranium local. Sur le papier, l’ensemble serait encadré par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Mais dans les faits, aucun calendrier n’a été communiqué, aucun budget annoncé, et aucune garantie de financement donnée.

Pour un pays comme le Niger, qui ne dispose ni des infrastructures, ni des compétences techniques, ni des moyens financiers pour gérer un programme nucléaire, ce projet soulève de nombreuses questions. Routes insuffisantes, réseau électrique fragile, manque d’eau… tout dépendrait de Moscou, de la technologie russe aux ingénieurs qui assureraient la maintenance. L’indépendance énergétique tant vantée risquerait ainsi de se transformer en dépendance stratégique.
Sur le plan environnemental, les inquiétudes sont réelles. Une centrale nucléaire consomme d’importantes quantités d’eau pour son refroidissement. Dans un pays frappé par la sécheresse, implanter un réacteur au bord du fleuve Niger n’est pas sans risque. Une erreur technique, un manque d’entretien ou une faille de sécurité pourraient avoir des conséquences graves, dans une région où la stabilité politique reste fragile. L’exemple de Tchernobyl, en 1986, demeure dans toutes les mémoires.

Rosatom, pour sa part, met en avant la sécurité de ses nouveaux réacteurs. L’entreprise assure respecter les normes internationales les plus strictes et vante la fiabilité de ses technologies. Mais la Russie a souvent fait de la communication un outil politique. Derrière le discours de la coopération, le nucléaire devient un instrument de « soft-power »: chaque contrat signé renforce la présence russe dans des zones stratégiques où l’influence occidentale recule.
Pour Niamey, ce projet symbolise la volonté d’un pays de se hisser parmi les nations modernes. Pour Moscou, c’est une victoire diplomatique, un moyen de consolider son implantation au Sahel. Mais sur le terrain, rien n’avance. Ni les études, ni la construction, ni le financement ne semblent engagés. Les deux réacteurs annoncés n’existent, pour l’instant, que dans les communiqués officiels.

Ce “rêve nucléaire” nigérien illustre le décalage entre ambition et réalité. Sans expertise locale, sans réseau fiable et sans moyens logistiques suffisants, le projet reste virtuel. Il témoigne davantage de la capacité de la Russie à se positionner dans les vides laissés par d’autres puissances, que d’un véritable saut énergétique pour le Niger.
En définitive, le nucléaire de Rosatom apparaît moins comme une solution d’avenir que comme un instrument d’influence. Un pari risqué pour un pays qui cherche à affirmer sa souveraineté, mais qui, en se liant à Moscou, risque surtout d’échanger une dépendance contre une autre.

F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info

PARTAGER