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Alors que l’insécurité s’aggrave au Mali et que la junte continue de miser sur la protection russe, une question dérangeante s’impose : la Russie pourrait-elle un jour pactiser avec certains groupes djihadistes, comme elle l’a déjà fait ailleurs ?
Loin d’être un scénario complotiste, cette hypothèse s’appuie sur une série de précédents concrets, où Moscou a privilégié ses intérêts géopolitiques en s’associant, directement ou indirectement, à des acteurs violents, parfois terroristes.
Afghanistan : les talibans, de parias à alliés
En avril 2024, la Russie a opéré un virage spectaculaire : la Cour suprême russe a retiré les talibans de sa liste des organisations terroristes. Une décision vite suivie par l’acceptation d’un ambassadeur à Moscou, et des rencontres de haut niveau entre responsables russes et dirigeants talibans, dont le sulfureux Sirajuddin Haqqani, ministre de l’Intérieur afghan.
Ce réalignement intervient après un attentat meurtrier en mars 2024 à Moscou revendiqué par l’État islamique au Khorassan. Pour Vladimir Poutine, les talibans deviennent alors un rempart utile contre une menace jugée plus immédiate, malgré leurs antécédents sanglants.
En clair : la Russie ne s’embarrasse pas de cohérence morale lorsqu’il s’agit de sécuriser son influence régionale ou ses routes économiques.
Syrie : quand la Russie mise sur ses ex-ennemis
Autre cas emblématique : la Syrie. Après avoir été l’un des piliers du régime d’Assad, Moscou s’est adaptée au renversement du pouvoir fin 2024. Aujourd’hui, elle traite directement avec un gouvernement dominé par HTS (anciennement lié à al-Qaïda), afin de préserver l’essentiel : ses bases militaires (à Tartous et Hmeimim) et ses contrats énergétiques.
Preuve ultime de ce pragmatisme extrême : la Russie aurait fourni 23 millions de dollars de liquidités au nouveau régime, en imprimant de la monnaie syrienne à Moscou. Le prix à payer pour maintenir un pied dans le pays.
Soudan : partenaires de guerre ou simples instruments ?
Le conflit soudanais illustre une autre facette du jeu russe. Pendant des années, Wagner a armé et encadré les FSR (Forces de soutien rapide) du général Hemedti contre l’armée régulière soudanaise, en échange d’un accès stratégique aux mines d’or du Darfour.
Mais en 2025, tout change : la Russie se rapproche du camp adverse, le Conseil souverain de transition, et amorce des discussions pour l’implantation d’une base navale sur la mer Rouge. Exit les FSR, bienvenue aux nouveaux interlocuteurs.
Cette bascule démontre que pour Moscou, les alliances sont réversibles, dictées par le seul calcul d’influence.
Centrafrique : utiliser les milices pour contrôler les ressources
En RCA, Wagner a joué une partition plus insidieuse encore. En s’alliant à des groupes armés locaux — comme la milice Azandé Ani Kpi Gbé — sous couvert d’intégration dans l’armée nationale, les mercenaires russes ont sécurisé l’accès à des zones riches en minerais, proches du Soudan et de la RDC.
Le résultat ? Une montée des violences. En 2025, des combattants formés par Wagner sont accusés par l’ONU d’avoir commis des massacres. Une guerre par procuration déguisée en coopération.
Et le Mali dans tout ça ?
Depuis janvier 2025, plus de 70 attaques djihadistes ont été recensées dans le nord du Mali (Mopti, Gao, Tombouctou), selon les données de l’ACLED. Malgré cela, la transition entre Wagner et Africa Corps se fait dans l’opacité, sans véritable changement de doctrine.
Ce contexte soulève une question : si l’armée malienne s’effondre face à la pression djihadiste, la Russie pourrait-elle négocier — ou tolérer — des arrangements avec certains groupes pour protéger ses intérêts ?
Quand on observe les exemples afghan, syrien, soudanais et centrafricain, la réponse ne semble plus si invraisemblable.
Leçons ignorées, risques amplifiés
Le Mali court le risque de reproduire les erreurs d’autres partenaires de Moscou : faire confiance à une puissance qui peut changer de camp du jour au lendemain, instrumentaliser des groupes locaux, ou s’allier temporairement avec des extrémistes dans une logique purement utilitariste.
Moscou ne s’embarrasse pas de fidélité : hier ennemis, aujourd’hui alliés ; hier milices soutenues, demain sacrifiées.
Conclusion : un jeu d’alliances à haut risque
Ce que démontre l’histoire récente, c’est que la Russie n’a aucun scrupule à coopérer avec des acteurs problématiques si cela sert ses ambitions. Le Mali, affaibli, isolé et instable, pourrait devenir le prochain terrain d’application de ce cynisme géopolitique.
Pour Bamako, l’heure n’est plus à la fascination aveugle, mais à une lecture lucide des faits. Dans le grand jeu stratégique de Moscou, même les alliances les plus solides ne sont que des leviers temporaires.
F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info