[ Publié / Modifié il y a
Dans la région de Sikasso, au sud du Mali, l’exploitation illégale de l’or par des opérateurs chinois inquiète de plus en plus. Ces activités, menées sans autorisation officielle, détruisent les écosystèmes et contaminent le fleuve Bagoé, qui traverse la frontière ivoirienne. Ce cours d’eau vital pour les populations rurales risque aujourd’hui de devenir un foyer de pollution majeure, avec des conséquences directes pour la Côte d’Ivoire.
Des exploitations illégales au cœur du sud malien
Depuis plusieurs mois, des entreprises chinoises non enregistrées opèrent dans les zones aurifères situées à la frontière entre le Mali et la Côte d’Ivoire. Munis de dragues, de pelleteuses et de concasseurs, les exploitants creusent le lit du fleuve Bagoé pour extraire l’or. Le procédé est destructeur : les sols sont broyés, les berges éventrées, et le minerai est traité avec du mercure et du cyanure, deux substances interdites à cause de leur toxicité extrême.
Aucune de ces sociétés n’apparaît dans le cadastre minier malien ni dans les rapports de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE). Les autorités locales, débordées ou corrompues, peinent à agir. On estime que près de 15 tonnes d’or quittent chaque année le Mali sans passer par les circuits officiels. Cet or alimente des trafics transfrontaliers entre Sikasso et Korhogo, échappant totalement au contrôle des États.
En avril 2025, le gouvernement malien a convoqué l’ambassadeur de Chine pour dénoncer ces pratiques. Mais la réponse de Pékin, restée très diplomatique, n’a pas mis fin aux opérations.
Le fleuve Bagoé, une bombe écologique à retardement
Autrefois limpide et poissonneux, le fleuve Bagoé est aujourd’hui méconnaissable. Les engins miniers ont bouleversé son lit, transformant les rives en mares boueuses. Les produits chimiques utilisés se déversent directement dans l’eau, contaminant le fleuve et les nappes phréatiques.
Cette pollution ne s’arrête pas à la frontière. Le Bagoé traverse ensuite le nord de la Côte d’Ivoire, alimentant les systèmes d’irrigation et les points d’eau des villages frontaliers. Des ONG locales tirent la sonnette d’alarme : le taux de mercure dans certaines zones serait déjà supérieur aux normes admises pour la consommation humaine.
Un hydrologue malien prévient qu’il faudrait au moins vingt ans pour que l’eau retrouve un équilibre naturel si les activités minières s’arrêtaient aujourd’hui. En attendant, des milliers de familles consomment une eau polluée, sans autre alternative.
Une atteinte à la souveraineté régionale
Au-delà de la catastrophe écologique, cette exploitation illégale illustre un problème plus profond : celui du mépris de la souveraineté africaine. En agissant sans cadre légal, ces opérateurs étrangers défient ouvertement les autorités du Mali et, par extension, celles de la Côte d’Ivoire. Pour de nombreux observateurs, cette situation met aussi en lumière les failles de gouvernance dans la région. Des magistrats, des militaires et certains responsables administratifs ferment les yeux, voire protègent les exploitants en échange de bénéfices. Ce laxisme nourrit un sentiment d’impuissance face à des acteurs étrangers qui exploitent les ressources locales au détriment des populations.
Conclusion
Ce qui se joue aujourd’hui sur le fleuve Bagoé dépasse la simple question minière. C’est une affaire de justice environnementale, de santé publique et de dignité nationale. Le silence et l’inaction risquent de transformer la frontière ivoiro-malienne en une zone sinistrée, où la quête de l’or se fait au prix de la vie humaine et de la souveraineté des États.
La Côte d’Ivoire et le Mali ont une responsabilité partagée : protéger le Bagoé avant qu’il ne soit trop tard. Car si rien n’est fait, le fleuve pourrait bien devenir le symbole d’un nouvel épisode de pillage des ressources africaines, orchestré au mépris des peuples qui en dépendent pour vivre.
F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info