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En Côte d’Ivoire, le mot excision n’appartient pas seulement au vocabulaire des associations ou des campagnes de sensibilisation. Il se niche dans les histoires de famille, se devine dans les silences, et parfois se lit dans les cicatrices invisibles que portent encore de nombreuses femmes.
Les données disponibles montrent qu’environ une femme ivoirienne sur trois, âgée de 15 à 49 ans, a subi une mutilation génitale. Ce chiffre est resté relativement stable au fil des années. La pratique recule un peu chez les plus jeunes, mais reste profondément ancrée dans plusieurs régions.
Un ancrage fort dans le Nord
Dans le Nord et le Nord-Ouest, l’excision garde un statut particulier. Pour beaucoup, elle représente un rite de passage, un symbole de respectabilité et parfois une condition pour le mariage. Ces croyances, transmises de génération en génération, continuent de résister aux campagnes de sensibilisation et à la loi.
Des origines anciennes
Les chercheurs estiment que la pratique remonte à l’Égypte antique, où elle aurait d’abord concerné les classes les plus aisées. Aujourd’hui encore, ce n’est pas un rite dicté par une religion précise, mais plutôt une norme sociale transmise par imitation et renforcée par la pression du groupe. Les matrones – exciseuses traditionnelles –, les notables et certaines autorités coutumières jouent souvent un rôle clé dans sa perpétuation.
Un impact lourd sur la santé et la vie des femmes
L’excision consiste à enlever partiellement ou totalement certaines parties des organes génitaux externes, souvent le clitoris. Les conséquences sont bien connues : douleurs intenses, hémorragies, infections, complications lors des accouchements, troubles sexuels et traumatismes psychologiques. C’est une atteinte grave à l’intégrité et à la dignité des femmes.
La loi dit non
Depuis 1998, la loi ivoirienne interdit formellement l’excision. Le Code pénal (articles 394 à 398) prévoit des peines allant d’un à cinq ans de prison, assorties d’amendes. Mais dans la réalité, les poursuites restent rares. Les cérémonies se déroulent souvent discrètement, à l’abri des regards, et peu de familles osent dénoncer.
Briser le silence
Le changement ne viendra pas uniquement des tribunaux. Les expériences réussies montrent que la répression doit aller de pair avec la médiation et la reconversion des exciseuses. Lorsqu’on leur propose des rôles reconnus – accompagnement des femmes enceintes, relais de santé, éducation à la prévention – les communautés sont plus enclines à abandonner la pratique.
La parole des femmes ayant subi l’excision est aussi un puissant levier. Dans beaucoup de villages, c’est le secret qui maintient la tradition. Quand des voix se lèvent pour raconter la douleur et les séquelles, le tabou commence à se fissurer. L’éducation des garçons compte également : comprendre que l’excision n’est pas un signe de respectabilité mais une violence interdite permet de créer une nouvelle génération d’alliés.
Pourquoi ça continue ?
Parce que les traditions sont tenaces. Parce que la pression sociale est forte. Parce que certains leaders locaux s’y opposent timidement. Parce qu’il existe une économie autour de la pratique. Et aussi parce que les crises, qu’elles soient économiques ou sécuritaires, relèguent la question au second plan.
Mais les signes d’un recul existent : moins de jeunes filles excisées, plus de filles scolarisées, une meilleure formation des sages-femmes, et plus de vigilance de la part des autorités.
Le vrai défi
Aujourd’hui, il faut de la cohérence : appliquer la loi partout, signaler chaque cas, former les médiateurs, intégrer le sujet dans les écoles, et surtout cesser de présenter l’excision comme une coutume respectable. C’est une violation des droits et de la dignité des femmes.
F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info