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Le rattrapage du régime Ouattara comme la fondation d’une épuration
ethnique (1ère partie). Par Dr. Ben ZAHOUI-DEGBOU
Le Président de la Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara a enrichi, la langue
française avec le néologisme suivant : « Le rattrapage », à enseigner désormais
dans les facultés de science politique ou de sociologie. L’académie française
devrait en principe lexicaliser ce nouveau concept politique qui pourrait faire
l’objet d’une thèse dans ces disciplines. C’est dans une interview accordée au
journal français L’Express, qu’Alassane Dramane Ouattara, a utilisé pour la
première fois, le mot « rattrapage ». Ceci en marge de l’un de ses multiples
voyages en Hexagone en 2012.
A cette occasion, le Président Ouattara disait exactement ceci dans ce journal français : «
Il s’agit d’un simple rattrapage. Sous Gbagbo, les communautés du Nord, soit 40% de la
population, étaient exclues des postes de responsabilité ». Il s’expliquait justement, sur
ses nombreuses et incompréhensibles nominations tribales, dans l’administration
publique, dans la Police et dans l’Armée ivoiriennes, exclusivement réservées aux cadres
du Nord. Il faut noter que c’est bien la première fois, qu’un dirigeant africain, à ce niveau
de responsabilité, reconnait ouvertement et sereinement, qu’il fait ses nominations sur
une base tribale et communautaire.
Cet aveu inédit, a fait le tour du monde. Beaucoup d’encre et de salive ont coulé, sur le
néologisme du Président Ouattara. Les linguistes diront que c’est un néologisme de sens,
parce que le mot rattrapage existe déjà dans la langue française. Alors, il n’est pas inutile
de jeter un regard sur la connotation de ce nouveau concept qui, ici, ne peut qu’être
couplé avec l’adjectif ethnique.
Le « rattrapage » concerne les membres d’une ethnie qui, semble t-il, étaient exclus des
nominations aux postes de responsabilité par le Président Laurent Gbagbo. L’adjectif
ethnique est une épithète liée, postposée du syntagme (mot) rattrapage. En
grammaire moderne, on dira que le mot ethnique est le complément du
nom rattrapage. L’explication est toute simple. Dans le néologisme « rattrapage
ethnique » ou « rattrapage » fait sur la base de l’ethnie, le groupe de mots « fait sur la
base de l’ethnie » remplace justement l’adjectif ethnique qui est par conséquent,
complément du nom rattrapage dont la sémantique est déterminante dans cette
réflexion.
Selon Emile Littré, rattraper veut dire, attraper à nouveau et le verbe rattraper peut
avoir deux déclinaisons possibles. Il peut signifier joindre, rattraper quelqu’un sur une
distance. Il peut aussi signifier compenser, faire l’équilibre, entre deux entités.
Dans le fond, sur le plan sémantique, le Président Ouattara a abusivement utilisé le mot
« rattrapage », parce qu’il ne fait pas un équilibre entre les nominations du Président
Gbagbo et les siennes.
Il a renvoyé carrément tous ceux qui ont été nommés par lui et qui ne sont pas du Nord,
pour les remplacer par des ressortissants du Nord de la Côte d’Ivoire. En un mot, il a
limogé tous ceux qui ne sont pas de la même ethnie que lui (Mandé ou
Voltaïque). Normalement, Ouattara fait ce qu’on pourrait appeler une « épuration
ethnique ».
Il va même au-delà du « rattrapage » sur la base de son ethnie, mais restons dans le
sens que le Président Ouattara donne à son concept. Le terme ethnie lui-même est un
concept sociologique colonial. Dans ses enseignements, le professeur Niangoran Bouah
préférait utiliser le terme de groupe social à la place d’ethnie qui a une connotation
fortement péjorative.
Ethnie ou groupe social, politiquement instrumentalisé par Ouattara.
Le terme ethnie est apparu dans la langue française en 1896. D’origine grecque
(ethnos signifiant gens de même origine), il désigne un groupe de personnes, un groupe
social possédant un ou plusieurs traits socioculturels communs, comme la langue, la
religion ou des traditions communes. Le résultat d’une recherche documentaire sur le
terme ethnie, nous montre clairement qu’il y a deux approches sociologiques incarnées
par Paul Mercier et Max Weber qui représentent également deux écoles. Pour
l’essentiel, résumons-les rapidement. Ces résumés faciliteront la compréhension de la
suite de notre analyse sur le « rattrapage ethnique » du régime Ouattara.
L’approche de Paul Mercier : Elle privilégie dans la définition du concept d’ethnie, les
critères objectifs que sont la langue, la religion, la coutume, les liens d’ascendance et de
descendance. On pourrait ajouter à ces critères, l’espace géographique généralement
partagé par les membres d’une même ethnie.
L’approche de Max Weber, quant à elle, considère l’ethnie, non seulement comme un
construit social, mais aussi, comme un phénomène instrumental, dans les luttes sociale
et politique. Cette approche de l’ethnie, il faut le noter, a permis l’émergence du concept
« d’ethnicité » (les liens qui unissent les membres d’une même ethnie) dans la
littérature. Ces liens peuvent être créés dans « la vie d’une ethnie », prise ici, comme un
système social qui fonctionne, qui évolue dans un espace géographique ouvert à d’autres
influences culturelles.
En clair, pour Max Weber, la langue, la religion et la culture sont des critères subjectifs
pour définir une ethnie. Il considère d’ailleurs une ethnie, comme un construit social et
un instrument de lutte sur la base d’intérêts communs. Rapportée à la Côte d’Ivoire, c’est
l’approche de Max Weber que nous retiendrons pour appuyer notre réflexion.
L’approche du sociologue allemand, nous donne des repères qui indiquent justement,
comment Alassane Dramane Ouattara, dans sa course vers le palais présidentiel, a mis
en place un construit social, une identité communautaire autour du Malinké et de
l’Islam depuis 1993. En fait, autour du Malinké, une langue, en même temps, un groupe
ethnique dont l’espace géographique d’influence, transcende largement les frontières
ivoiriennes. Vous avez déjà compris pourquoi la crise en Côte d’Ivoire qui a commencé
depuis 1993, après la disparition du Houphouët Boigny, a pris une proportion ouest-
africaine. Un travail de fond a été fait sur le long terme.
Dr. Ben ZAHOUI-DÉGBOU
Géographe-Journaliste spécialiste de Géopolitique et de Commerce International.
Masterant en Théologie, BIBLEDOC, Institut de Théologie,
P.O. BOX 118 STAFFORD, VA – USA