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Depuis son arrivée en Côte d’Ivoire en 2018, Yango, l’application de transport issue du groupe technologique russe Yandex, a changé la manière dont les Abidjanais se déplacent. En quelques années seulement, la plateforme est devenue incontournable, au point d’occuper aujourd’hui une place dominante sur le marché du transport numérique.
Facile à utiliser, accessible depuis un simple smartphone et proposant des tarifs souvent plus bas que les taxis classiques, Yango a séduit un large public. Mais derrière ce succès se cache une réalité plus complexe : l’absence de concurrence réelle et ses conséquences sur les acteurs locaux du transport.
Le départ d’Uber, un tournant pour le secteur
Fin septembre 2025, Uber a officiellement quitté la Côte d’Ivoire après six années d’activité. La multinationale américaine a expliqué ce départ par les difficultés à s’adapter au marché local, où les paiements en espèces, la réglementation et la rentabilité posaient problème. Avec ce retrait, Yango s’est retrouvée quasiment seule sur le créneau du transport numérique. Les autres plateformes comme Heetch sont restées marginales, concentrées sur Abidjan et avec peu de chauffeurs actifs.
Ce vide a permis à Yango d’étendre rapidement son réseau. L’entreprise a même ouvert en juillet 2025 un bureau régional à Abidjan, devenu son centre de commandement pour toute l’Afrique de l’Ouest.
Une stratégie bien huilée
Contrairement à ses concurrents, Yango a misé sur un modèle adapté au contexte africain. Les clients peuvent payer en espèces, les tarifs sont ajustés selon la demande, et les chauffeurs peuvent s’inscrire facilement.
En 2024, la société a lancé Yango Motors, une filiale qui vend et loue des voitures aux chauffeurs partenaires. L’idée est de leur permettre de travailler même sans posséder de véhicule, tout en gardant la main sur la chaîne du transport. Désormais, des milliers de conducteurs dépendent aujourd’hui de Yango pour travailler, ce qui renforce la puissance du groupe sur le marché ivoirien.
Les taxis traditionnels en perte de vitesse
Les taxis-compteurs sont les premiers touchés par cette transformation. Dans les zones d’affaires comme Cocody, Marcory ou le Plateau, ils voient une partie de leur clientèle partir vers les applications. Les chauffeurs dénoncent une concurrence jugée « injuste », car Yango fixe librement ses tarifs et applique régulièrement des promotions.
« On ne peut pas rivaliser », confie un chauffeur de taxi au micro d’un média local. « Les clients préfèrent Yango, c’est moins cher et plus confortable. »
De nombreux chauffeurs ont fini par rejoindre la plateforme russe, parfois contraints de s’endetter pour louer une voiture ou payer leurs commissions. Leur situation économique reste précaire : les revenus varient selon l’algorithme de l’application, sans véritable protection ni garantie sociale.
Les startups ivoiriennes écartées
Plusieurs jeunes entrepreneurs ivoiriens avaient tenté de créer des plateformes locales de transport, mais aucune n’a réussi à rivaliser. Le coût du développement technologique, la nécessité de campagnes de publicité coûteuses et la domination marketing de Yango ont vite découragé les initiatives nationales. L’écart est tel qu’il devient aujourd’hui presque impossible pour un acteur local de s’imposer face à un groupe doté d’importants moyens financiers et d’une logistique internationale.
Un succès qui interpelle
Yango a indéniablement contribué à moderniser le transport urbain à Abidjan : plus de sécurité, de confort, et une meilleure expérience pour les usagers. Mais son monopole de fait inquiète les observateurs.
Sans cadre légal spécifique ni véritable régulation, la domination d’un seul acteur étranger pourrait fragiliser le tissu économique local, en rendant les chauffeurs, les clients et les investisseurs ivoiriens dépendants d’un modèle importé.
Pour beaucoup, il est temps que l’État définisse un cadre clair pour la mobilité numérique, afin de garantir une concurrence équitable et de donner une chance aux initiatives ivoiriennes.
Aujourd’hui, Yango est plus qu’une simple application : c’est un symbole des nouveaux rapports de force économiques dans un marché en pleine mutation. Si le groupe russe a réussi à transformer le quotidien des Abidjanais, il rappelle aussi que la modernité, lorsqu’elle se fait sans concurrence, peut vite devenir une dépendance.
F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info