Côte d’Ivoire – Chine coopération ou nouvelle dépendance ?

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Depuis vingt ans, la Chine s’est imposée comme un acteur majeur en Afrique. Et en Afrique de l’Ouest, sa présence est particulièrement marquée en Côte d’Ivoire, bien au-delà du commerce.
Infrastructures, mines, cacao, pêche, réseaux sociaux… Tout y passe. Derrière cette omniprésence, une stratégie de long terme. Car oui, la Chine ne pense jamais court.
Des débuts maoïstes à la machine économique
La Chine arrive en Afrique dans les années 1950-60, avec un discours tiers-mondiste et maoïste. Mais dès les années 2000, changement de ton : le FOCAC (Forum sur la coopération sino-africaine) voit le jour en 2000, et Xi Jinping pousse la stratégie vers l’économie et les chantiers.
Entre 2006 et 2017, la Chine finance 128 milliards de dollars d’infrastructures africaines, soit 28,3 % des fonds publics extérieurs. L’Afrique de l’Ouest en capte 33 %, devant l’Est (31 %). Le tout, via des prêts concessionnels… réalisés par des entreprises chinoises.
Des ponts et des barrages, made in China
En Côte d’Ivoire, ces investissements sont bien visibles :
• Barrage de Soubré (2017, par Sinohydro)
• Suivront Gribo-Popoli, Boutoubré, et bientôt Louga
• Le 4e pont d’Abidjan (142 milliards FCFA) par China State Construction Engineering Corporation
Et au port d’Abidjan, le Terminal à Conteneurs 2 (TC2) a été financé par l’Exim Bank of China. L’exploitation est partagée, mais l’acteur chinois CMG y a une part indirecte via Terminal Link.
Ports africains : la stratégie cachée
Sur 78 ports africains impliquant la Chine, 35 sont en Afrique de l’Ouest. À Abidjan, Lekki (Nigeria), Lomé (Togo), Kribi (Cameroun), Pékin détient plus de 50 % du capital et des droits d’exploitation sur plusieurs décennies.
Pour certains analystes, ces ports sont bien plus que des hubs commerciaux : ils pourraient devenir des relais navals. La Marine chinoise a déjà fait escale à Abidjan, Lekki et Pointe-Noire.
Pas encore de base militaire officielle dans la région (contrairement à Djibouti, à l’Est), mais la fréquence des escales interroge.
Pêche : des chalutiers qui ruinent les Ivoiriens
Un rapport du Salata Institute de Harvard (mai 2025) révèle une chute de 40 % des captures artisanales ivoiriennes entre 2003 et 2020. En cause : le changement climatique, mais surtout les chalutiers chinois qui pratiquent la pêche de fond, très destructrice.
Officiellement, la Chine compte 2 600 navires. Officieusement, jusqu’à 17 000 opèrent dans le monde, souvent dans des zones interdites. Dans le Golfe de Guinée, plus de 400 navires chinois sont recensés par Greenpeace, générant plus de 400 millions d’euros par an via la pêche illégale.
En Côte d’Ivoire, les fermetures saisonnières instaurées depuis 2016 sont inefficaces. Et ce sont les familles de pêcheurs qui trinquent.
Or et minerais : la Chine creuse
Entre 2018 et 2023, la production d’or ivoirienne est passée de 24,5 à 51 tonnes. Résultat :
• Zhaojin Mining rachète Tietto Minerals (mine d’Abujar) pour 400 millions de dollars
• Zijin Mining investit dans Montage Gold, en charge du projet Koné
Rien d’anodin : en 2018, la Chine contrôlait déjà 41 % du cobalt africain et 28 % du cuivre. Elle domine désormais les chaînes de production de lithium, manganèse, graphite, essentiels à la transition énergétique mondiale.
Cacao : bientôt une dépendance inversée ?
La Chine vise aussi le cacao, dont la Côte d’Ivoire est n°1 mondial.
• Une usine géante de transformation a été construite près d’Abidjan par China Light Industry Nanning Design Engineering
• Une autre, à San Pedro, produira 50 000 tonnes/an
• Et depuis 2021, la Chine teste la culture du cacao à Hainan
Si ça marche, la production locale chinoise pourrait concurrencer les fèves ivoiriennes, qui ne rapportent que 6 % d’un marché du chocolat de 130 milliards de dollars.
TikTok, attiéké et soft power
La stratégie chinoise ne passe pas que par les bulldozers. Elle est aussi culturelle.
Exemple : Jiaan Wu, influenceuse sino-canadienne installée à Abidjan, cumule 450 000 abonnés sur TikTok, 31 000 sur Instagram, et partage des vidéos entre attiéké, nouchi et collaborations locales.
Ce soft power discret mais efficace rend la présence chinoise plus familière… et plus acceptable.
Une stratégie qui suit une route bien tracée
Tout cela s’inscrit dans les Nouvelles Routes de la Soie (BRI), lancées en 2013. La Côte d’Ivoire a déjà reçu 5,6 milliards de dollars de prêts chinois, principalement pour l’énergie et les transports.
Le 14e plan quinquennal chinois (2021-2025) inclut des corridors africains. Et des concepts comme “points forts à l’étranger” (haiwai zhanlue zhidian) apparaissent dans la doctrine militaire chinoise pour désigner des infrastructures stratégiques.

Coopérer avec la Chine n’est pas un mal en soi. Mais croire que c’est neutre serait naïf.
Derrière les prêts et les chantiers, il y a une logique politique, militaire, économique et culturelle, parfaitement assumée par Pékin.
La vraie question pour l’Afrique, et pour la Côte d’Ivoire, c’est celle-ci : voulons-nous rester maîtres de nos ressources, de nos ports, de notre avenir ?
Sinon, il se pourrait bien qu’on remplace une dépendance ancienne par une nouvelle, plus subtile mais tout aussi contraignante.

F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info

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