Chine–Côte d’Ivoire : derrière la coopération, un respect non réciproque

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La Chine est partout en Côte d’Ivoire : dans nos stades flambant neufs, nos routes, nos barrages, nos écoles et jusque dans les classes où certains élèves apprennent le mandarin. À première vue, tout semble indiquer une coopération exemplaire. Mais quand on écoute les témoignages d’Ivoiriens et qu’on observe certains dossiers récents, une réalité plus amère apparaît : le respect que les Chinois affichent dans les discours officiels n’est pas toujours au rendez-vous dans la pratique.
Les bourses chinoises : générosité ou outil d’influence ?
En 2024, l’ambassade de Chine à Abidjan a annoncé fièrement avoir octroyé 24 millions de FCFA de bourses à des élèves ivoiriens membres des clubs « Amis de la Chine ». Depuis 2018, près de 132 millions de FCFA auraient été investis pour soutenir la scolarisation et la diffusion du mandarin dans le pays. Officiellement, il s’agit de soutenir l’excellence scolaire et de renforcer les liens culturels.
Mais derrière ces chiffres, des étudiants dénoncent un système opaque : critères de sélection flous, accompagnement parfois insuffisant une fois arrivés en Chine, et surtout un manque de soutien consulaire quand surgissent des difficultés sur place. À cela s’ajoutent les alertes venues d’autres pays africains, comme le Burkina Faso, sur des fausses bourses circulant dans des circuits parallèles, laissant craindre que des Ivoiriens ne soient aussi victimes de ce genre d’arnaques.
Des Ivoiriens maltraités en Chine : le malaise persistant
En 2023, plusieurs ressortissants ivoiriens installés en Chine ont témoigné avoir subi des discriminations dans le logement et le travail. Certains parlent de contrôles policiers plus fréquents, d’expulsions arbitraires ou de difficultés administratives sans explication. L’affaire a été suffisamment médiatisée pour que l’ambassadeur de Chine à Abidjan, SEM Wan Li, soit contraint de s’exprimer publiquement et de rejeter les accusations de « maltraitance ».
Ces déclarations officielles n’ont pas suffi à rassurer. Dans les communautés ivoiriennes de Guangzhou ou de Pékin, la méfiance reste forte. Beaucoup évoquent un quotidien où ils se sentent « citoyens de seconde zone », sans réelle protection de la part des autorités chinoises, et parfois même oubliés par leurs propres représentants diplomatiques.
Des projets visibles… mais des retombées inégales
La coopération sino-ivoirienne a permis la réalisation d’infrastructures spectaculaires : le barrage de Soubré, les stades de San Pedro et de Korhogo, l’extension du port autonome d’Abidjan ou encore les projets de réhabilitation du réseau électrique. Sur le papier, ces réalisations renforcent l’image de la Chine comme partenaire incontournable du développement ivoirien.
Mais plusieurs critiques s’élèvent. Sur les chantiers, la majorité des postes qualifiés reste occupée par des travailleurs chinois, tandis que les Ivoiriens sont cantonnés aux emplois les moins valorisés. Quant aux transferts de compétences promis, ils demeurent limités. Des techniciens formés sur place affirment que les formations sont trop courtes et qu’aucune autonomie réelle n’est transmise. Il en résulte une dépendance persistante, où la maintenance et l’expertise restent largement importées de Chine.
Une dette qui interpelle
Au-delà des chantiers, la question de la dette inquiète. Comme d’autres pays africains, la Côte d’Ivoire finance une partie de ces projets par des prêts chinois dont les conditions sont rarement rendues publiques. Certains économistes ivoiriens alertent : si la tendance continue, le pays risque de se retrouver prisonnier de ses engagements financiers, avec peu de marge de manœuvre pour négocier ou diversifier ses partenariats.
Cette inquiétude trouve écho chez de nombreux citoyens : sur les réseaux sociaux, la question revient souvent. Beaucoup se demandent si ces grands travaux servent vraiment les Ivoiriens ou s’ils servent surtout à accroître l’influence chinoise dans le pays.
Ce que la Côte d’Ivoire doit réclamer
Pour que la coopération sino-ivoirienne soit une relation équilibrée et respectueuse, plusieurs conditions doivent être exigées :
• Transparence totale sur les bourses, les prêts et les contrats d’infrastructure.
• Protection réelle des Ivoiriens en Chine, avec un suivi consulaire efficace et des recours clairs en cas de discrimination.
• Emploi local et transfert de compétences obligatoires dans les grands projets financés par Pékin.
• Participation citoyenne aux choix d’infrastructures, afin que les populations bénéficient réellement des investissements.
La Chine restera un partenaire important de la Côte d’Ivoire, c’est une évidence. Mais un partenaire qui ne respecte pas toujours ses engagements ni la dignité de ceux qui collaborent avec lui. Pour éviter que la coopération ne se transforme en dépendance, la Côte d’Ivoire doit parler d’égal à égal avec Pékin, défendre ses ressortissants et exiger que chaque promesse faite aux Ivoiriens se traduise par des résultats concrets.
Parce que le respect ne se négocie pas : il se mérite. Et c’est à la Côte d’Ivoire de rappeler, fermement, que son peuple n’est pas une variable d’ajustement dans les ambitions d’une puissance étrangère.
F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info

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