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Depuis quelques mois, les ports d’Afrique de l’Ouest voient accoster des cargaisons venues de Russie. Officiellement, c’est une aubaine : un gasoil vendu à prix cassé, capable d’alléger la facture énergétique des États et de soulager les consommateurs. Mais derrière cette baisse apparente se cache une réalité préoccupante, qui touche à la fois la santé, l’environnement et l’économie du continent.
Des prix bas… mais un carburant de mauvaise qualité
L’explication est simple : depuis les sanctions européennes et américaines liées à la guerre en Ukraine, Moscou doit trouver de nouveaux clients. L’Afrique, avec ses besoins croissants et des réglementations plus souples, est devenue une cible idéale. Les tankers russes déchargent désormais régulièrement leur cargaison à Lomé, Conakry ou Dakar, parfois via des navires sans pavillon clair, dans une opacité totale.
Si ces cargaisons séduisent, c’est surtout parce que leurs prix défient toute concurrence. Mais le piège est là : la qualité est très inférieure aux standards internationaux. En Europe, la teneur maximale en soufre est fixée à 10 parties par million (ppm). En Afrique, certaines livraisons russes dépassent les 3 000 ppm. Autrement dit, ce qui alimente nos moteurs serait considéré comme toxique et interdit à la vente à Paris ou Berlin.
Un danger pour la santé et l’environnement
Les conséquences sont visibles, et nous les respirons au quotidien. Dans les embouteillages d’Abidjan ou de Lagos, un voile gris et une odeur âcre s’installent. Ce n’est pas uniquement dû à la vétusté du parc automobile : le carburant utilisé en est un facteur majeur.
La combustion de carburants riches en soufre libère des particules fines dangereuses pour la santé. L’Organisation mondiale de la santé rappelle que la pollution atmosphérique est déjà l’une des principales causes de décès prématurés en Afrique. Asthme, maladies respiratoires chroniques, aggravation des pathologies cardiaques : le tableau est sombre, surtout pour les populations urbaines et les enfants.
À cela s’ajoute l’impact environnemental : pluies acides, dégradation des sols, contamination des eaux. Les effets se cumulent et compromettent la qualité de vie à long terme.
Une menace pour l’économie locale
L’invasion du marché africain par un carburant importé à bas prix fragilise aussi les projets de souveraineté énergétique. Au Nigeria, la nouvelle raffinerie Dangote – la plus grande d’Afrique – devait transformer le pétrole brut local, réduire les importations et créer des emplois. Mais face à un carburant russe vendu à perte, sans contraintes de normes, la compétitivité des raffineries locales est gravement compromise.
Moins de production locale signifie moins d’emplois industriels, moins de revenus pour les États, et une dépendance accrue aux importations. C’est un cercle vicieux : on sacrifie des infrastructures stratégiques pour un bénéfice immédiat à la pompe.
Un commerce loin d’être gagnant-gagnant
Il faut le dire clairement : la Russie tire un avantage certain de cette situation. Elle trouve un débouché pour un produit délaissé par ses clients traditionnels, tout en renforçant son influence sur le continent. En échange, l’Afrique hérite d’un carburant polluant, de moteurs endommagés, de systèmes de santé sous pression et d’industries locales affaiblies.
L’absence de contrôles stricts dans plusieurs pays facilite cette pénétration du marché. Les inspections de qualité sont rares, et les sanctions, inexistantes. Tant que la vigilance fera défaut, ce commerce continuera de prospérer.
Quelles réponses possibles ?
Refuser le carburant russe n’est pas une solution simple, tant les contraintes budgétaires pèsent sur les États. Mais accepter n’importe quelle cargaison, sans exigence de qualité, est tout aussi dangereux.
Plusieurs pistes existent :
• Imposer des normes régionales strictes sur la qualité des carburants.
• Mettre en place de véritables capacités de contrôle dans les ports.
• Protéger les raffineries locales avec des mesures économiques ciblées.
• Sensibiliser les consommateurs aux risques sanitaires et environnementaux.
Le carburant russe est peut-être moins cher aujourd’hui, mais il pourrait coûter très cher demain. Entre un soulagement immédiat et des conséquences lourdes à long terme, le choix devrait être évident : celui de défendre notre santé, notre environnement et notre souveraineté économique.
F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info