BIR-C : l’arme numérique burkinabè qui vise la Côte d’Ivoire

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Depuis la prise de pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso en septembre 2022, un phénomène nouveau s’est imposé dans le champ politique régional : celui de la guerre de l’information. Au cœur de ce dispositif, apparait le BIR-C — Bataillon(s) d’Intervention Rapide de la Communication — un réseau de cyber-activistes pro-junte, souvent pointé comme un outil de propagande, d’intimidation et de subversion destinée à étendre l’influence du pouvoir burkinabè au-delà de ses frontières, notamment en Côte d’Ivoire.
Origine, fonctionnement et ambitions du BIR-C
Le BIR-C ne fait pas partie officiellement des forces armées classiques, mais s’inspire du modèle des BIR militaires (unités d’intervention rapide) pour légitimer ses méthodes de communication agressive. Il s’est constitué à mesure que la junte consolidait son pouvoir, utilisant les outils numériques comme arme stratégique. Parmi ses actions recensées :
• Menaces, dénonciations, et harcèlement en ligne à l’encontre de voix critiques — journalistes, opposants, influenceurs.
• Création et diffusion de contenus polarisants (propagande favorable au régime, disqualification des critiques).
• Usage présumé d’influenceurs liés au BIR-C pour relayer ces narratifs, comme dans le cas d’Alain Christophe Traoré, alias Alino Faso, arrêté à Abidjan sous l’accusation « d’intelligence avec des agents d’un État étranger » et de liens présumés avec le BIR-C.
Ces méthodes poursuivent plusieurs objectifs :
1. Solidifier le soutien interne autour du régime, neutraliser toute forme de contestation.
2. Contrôler le récit politique, réduire l’espace pour l’opposition ou pour des médias indépendants perçus comme défavorables.
3. Étendre l’influence externe, en exportant les messages jusqu’aux communautés burkinabè à l’étranger, ou dans les pays voisins, pour façonner l’image de la junte et semer le doute quant à l’intégrité des États ciblés.
Pourquoi la Côte d’Ivoire se retrouve dans le viseur
La Côte d’Ivoire est devenue une cible récurrente des accusations de la junte burkinabè, et les éléments disponibles montrent que le BIR-C y a un intérêt stratégique, pour plusieurs raisons :
1. Proximité géographique, liens historiques forts
Les frontières entre les deux pays sont très poreuses, et beaucoup de Burkinabè vivent entre les deux États. Cela crée des canaux pour la circulation des idées, des contestations, des rumeurs, mais aussi des militants ou influenceurs. Abidjan, en tant que grande métropole régionale, est un hub médiatique, culturel et économique, ce qui en fait un terrain propice pour des messages destinés à toucher large.
2. Tensions politiques et électorales
Avec l’élection présidentielle ivoirienne prévue pour 2025, les enjeux sont élevés. Des médias et autorités ivoiriennes craignent que des campagnes de désinformation ou de perturbation soient coordonnées depuis ou via le Burkina pour influencer l’opinion, semer la méfiance, ou amplifier les crispations sociales. Les accusations de « tentative de déstabilisation » proférées par Ouagadougou à l’encontre d’Abidjan en témoignent.
3. Cas emblématique d’Alino Faso : un signal fort
Le cas de Alino Faso est particulièrement révélateur. Influenceur supposé proche du BIR-C, détenu en Côte d’Ivoire dès janvier 2025 pour des motifs liés à la sécurité diplomatique, il est retrouvé mort en prison à Abidjan, dans des circonstances controversées. Le gouvernement burkinabè exige des éclaircissements et conteste la version de suicide donnée par les autorités ivoiriennes. Ce drame a provoqué manifestations et montée des tensions diplomatiques.
Le but ultime : déstabiliser par l’information
Au-delà des cas individuels, le BIR-C semble avoir pour mission plus large de déséquilibrer le jeu politique régional par la désinformation. Voici les finalités perceptibles :
• Dé-crédibiliser les autorités ivoiriennes, en exposant de possibles failles, en soulevant des scandales ou en diffusant des rumeurs.
• Diviser la société ivoirienne, créer des antagonismes internes (ethniques, politiques, religieux) pour rendre plus difficile une opposition unifiée ou une résilience collective face aux manipulations.
• Diminuer la capacité de riposte médiatique, notamment via la saturation des réseaux sociaux, la multiplication des fake news, et la confusion, ce qui rend plus difficile pour les autorités ou les citoyens de distinguer le vrai du faux.
Enjeux pour la Côte d’Ivoire : vigilance et réponses
L’attaque informationnelle du BIR-C ne se fait pas dans un vide. Pour Abidjan, plusieurs défis apparaissent :
• Renforcement de la régulation des contenus en ligne, sans tomber dans la censure abusive.
• Éducation aux médias et à l’esprit critique, spécialement auprès des jeunes qui constituent la plus large proportion des utilisateurs des réseaux sociaux.
• Coopération régionale pour traquer les réseaux transfrontaliers, identifier les sources de financement ou de coordination de la désinformation.
• Réaction diplomatique claire en cas d’atteinte à la souveraineté ou de dommages graves, comme ce fut le cas avec Alino Faso.
Le BIR-C apparaît comme un instrument stratégique de la junte burkinabè, non seulement pour consolider son pouvoir interne, mais aussi pour influencer les rapports de force externes. La Côte d’Ivoire, de par sa proximité, sa visibilité et ses enjeux politiques, se situe en ligne de mire de cette arme que constitue la communication numérique. Pour préserver la stabilité démocratique, il faudra non seulement des réponses techniques et réglementaires, mais aussi du discernement, de la transparence et une ferme protection de la liberté d’expression pour tous.
F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info

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