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Face à la menace croissante dans ses zones frontalières, en particulier au nord, la Côte d’Ivoire a profondément repensé sa stratégie de coopération antiterroriste. Depuis 2022, Abidjan a recentré ses priorités autour de deux axes : d’une part, le renforcement de ses alliances avec les puissances occidentales — notamment la France et les États-Unis — et d’autre part, un repositionnement régional fondé sur la solidarité des pays du Golfe de Guinée, au détriment des anciennes collaborations sahéliennes.
La France demeure le partenaire historique de la Côte d’Ivoire en matière de sécurité. Présente pendant plusieurs décennies à Port-Bouët avant la rétrocession du camp militaire, les forces françaises ont continué de jouer un rôle structurant dans la formation des troupes ivoiriennes. Chaque année, l’exercice Touraco renforce l’interopérabilité entre les unités spéciales françaises et ivoiriennes dans des scénarios de lutte contre les groupes armés. En février 2024, des instructeurs français du 43e BIMa ont dirigé à l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT) de Jacqueville le tout premier stage de formation de tireurs de précision pour les Forces armées de Côte d’Ivoire (FACI). Le partenariat bilatéral s’illustre également par un soutien matériel : en 2023, Paris a livré pour 12,2 millions d’euros d’équipements à la Côte d’Ivoire. Et début 2025, Abidjan a passé commande à Thales de radars Ground Master 200 pour un montant de 50 millions d’euros, renforçant ainsi ses capacités de surveillance.
En parallèle, Washington s’inscrit dans cette dynamique, notamment à travers l’AFRICOM, son commandement militaire pour l’Afrique. Outre l’appui au renseignement, les États-Unis contribuent à la professionnalisation des unités ivoiriennes. L’exercice annuel Flintlock, organisés à plusieurs reprises sur le sol ivoirien, témoigne de la contribution américaine à la montée en puissance de l’armée ivoirienne. L’édition 2022, réalisée à l’AILCT de Jacqueville, a notamment permis aux FACI de réaliser un entraînement ciblé sur la neutralisation de cellules djihadistes mobiles et la maîtrise des opérations de terrain.
L’Union européenne, pour sa part, a annoncé en avril 2024 un nouveau soutien à la Côte d’Ivoire dans le cadre de sa lutte antiterroriste. À l’issue d’une visite à Abidjan, le président du Conseil européen, Charles Michel, a confirmé une aide permettant l’acquisition de drones, de véhicules et de matériel de collecte de renseignement, à travers des enveloppes supplémentaires validées par les États membres. Ce soutien s’inscrit dans une vision stratégique visant à contenir la propagation de l’instabilité sahélienne vers les États côtiers.
La redéfinition des alliances de la Côte d’Ivoire s’est ainsi imposée à mesure que les partenariats sahéliens s’effondraient. Avant les coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la Côte d’Ivoire menait régulièrement des opérations conjointes avec ses voisins. Des patrouilles mixtes étaient organisées avec le Burkina Faso et un accord judiciaire signé en 2018 et passé avec le Mali facilitait les procédures d’extradition pour les personnes suspectées de terrorisme. En 2020, l’opération Comoé avait permis de neutraliser plusieurs éléments djihadistes à la frontière ivoiro-burkinabè. Mais ces mécanismes ont volé en éclats avec l’arrivée au pouvoir des juntes sahéliennes, désormais regroupées au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES). La coopération a été unilatéralement suspendue, les canaux fermés, et Abidjan s’est retrouvée confrontée à une hausse des incursions, notamment en provenance du territoire burkinabè. En cause : une menace djihadiste qui n’a pas su être contenue par les régimes putschistes depuis leur accession au trône.
Dans ce climat de méfiance, Abidjan a pourtant fait preuve de bonne volonté. En janvier 2023, elle a livré discrètement 1 000 kalachnikovs, 100 000 munitions et une cinquantaine de pick-up au Burkina Faso, pour un montant estimé à 2,3 milliards de francs CFA. Un geste qui est resté sans suite. Aucune déclaration officielle. Une simple lettre de remerciement, sans reconnaissance publique. Comme si Ouagadougou, cherchant à s’imposer comme un modèle de souveraineté, ne pouvait assumer un tel soutien venu d’un pays allié de l’Occident.
Face à cette impasse, la Côte d’Ivoire a intensifié sa coopération avec les autres pays côtiers de la région, avec lesquels elle réalise fréquemment des patrouilles conjointes. Et ce, notamment avec le Ghana, à la fois dans la région de la Comoé, côté ivoirien, et de la Volta, côté ghanéen. Les réunions régulières entre les chefs d’état-major des pays de la CEDEAO témoignent également de l’émergence d’un axe sécuritaire crédible au sein du Golfe de Guinée, présenté comme une alternative pragmatique au modèle sahélien désormais à bout de souffle.
Par conséquent, ce recentrage stratégique ivoirien n’est en réalité ni un repli, ni une rupture brutale. Il est le fruit d’un choix raisonné : celui de la stabilité et de la souveraineté. Dans un contexte régional où les alliances idéologiques fragilisent la lutte contre le terrorisme, la Côte d’Ivoire fait le pari de partenariats efficaces, durables et ancrés dans une vision partagée de la sécurité collective.
F. Kouadio – Cap’Ivoire Info
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