Filière palmier à huile : Ça ne baigne plus… pour les planteurs

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Le prix d’achat des régimes de palme a connu une baisse drastique ces dernières années. Cette situation a provoqué la diminution des revenus des producteurs. Incursion dans ce secteur où, jadis, tout baignait dans l’huile. Dossier.
Selon les statistiques publiées par l’Association interprofessionnelle de la filière palmier à huile (Aiph), à l’occasion du Salon international de l’agriculture de Paris (Sia), 2018, la Côte d’Ivoire dispose de 75 000 ha de plantations industrielles de palmier à huile et 155 000 ha de plantations villageoises.

La filière génère 220 000 emplois directs, nourrit plus de deux millions de personnes et représente 1,5% du Produit intérieur brute. Le pays est le deuxième producteur africain, après le Nigeria, avec une production d’huile brute annuelle d’environ 500 000 tonnes. Malgré l’importance économique de cette spéculation, la filière est confrontée à de graves difficultés dont essentiellement la chute continue du prix d’achat des régimes de palme. C’est ce qui ressort du point de presse animé, le 24 mai 2019, par la Fédération nationale des unions des sociétés coopératives et des sociétés coopératives de planteurs de palmier à huile de Côte d’Ivoire (Fenacopah-Ci).

Aux dires des responsables de la Fenacopah-Ci, le prix d’achat du régime aux planteurs a subi une érosion constante au cours des cinq dernières années ; passant de 63,52 F/kg en 2012 à 37,87 F/kg en 2018. Pire, les prix des dix premiers mois de 2019 continuaient de baisser pour n’être qu’à 34,89 F/kg. Cette baisse constante du prix impacte bien sûr négativement la vie des producteurs qui voient leurs revenus diminués.

Au cœur des réalités des producteurs.

Pour retrouver des plantations villageoises de palmier à huile, nous nous sommes rendues à Bingerville, ville située à 27 km d’Abidjan, plus précisément au village d’Eloka distant d’une quinzaine de kilomètres de cette commune. Nous avons rendez-vous avec Milé Bi Boua Félix, chargé d’appui au Conseil agricole. Sur le millier d’habitants que compte la localité, plus de 143 s’adonnent à la culture du palmier à huile. De Bingerville à Eloka, en passant par M’Batto-Bouaké, Adjamé-Bingerville, ‘’l’or rouge’’ est visible partout. Les plantations de palmier s’étendent à perte de vue de part et d’autre de la piste qui conduit à Eloka.

A l’entrée du village, se dresse l’usine de Palmafrique. La principale source d’approvisionnement en noix de palme de cette unité industrielle est les productions villageoises. Il est 13 h, Tchimou Félix, membre de la coopérative Ucoopel, qui regroupe les planteurs de palmier à huile de Bingerville, nous reçoit dans sa plantation de 80 ha. Il y produit du palmier à huile depuis 1990.

L’air désemparé et entouré de deux autres producteurs, c’est avec beaucoup de peine que ce septuagénaire explique les difficultés de la filière. « La chute des prix à 37F le kg a un impact négatif sur nos revenus. Nos plantations ne sont pas bien entretenues, faute de manœuvres. Alors que pour entretenir un ha, il faut débourser 15 000 FCFA et 50 FCFA par régime pour chaque manœuvre, sans compter le rabattage. Tout cela ajouté à la baisse du prix du régime, vous comprendrez que nous produisons à perte », déplore le planteur.

La situation devient intenable pour ces villageois lorsque l’agroindustriel qui achète leurs productions met 4 à 5 mois pour les payer. « C’est en fonction du tonnage que nous sommes payés. Là encore, nous percevons difficilement notre argent ». Même son de cloche chez Akoré Dango Ezéchiel, producteur depuis 2000. Sa plantation de 7 ha est située à 2 km de celle de Tchimou. « C’est difficile, très difficile, cette filière qui a permis à nos parents de nous scolariser est aujourd’hui en perte de vitesse. Nous avons du mal à scolariser nos enfants. En 2013, on nous achetait le régime à 74 FCFA, nous en étions heureux, c’était la belle époque », affirme-t-il nostalgique de ce temps de vache grasse. Pour lui, si le prix augmente, le producteur sera très heureux.

De Bingerville à Aboisso : même réalité.

Après le village d’Eloka, nous mettons le cap sur Koffikro, à 20 km d’Aboisso, et à 116 km d’Abidjan. Akouah Techi Philippe, la cinquantaine révolue, nous accueille dans sa plantation de 60 hectares qui donne habituellement un rendement de 23 tonnes par an. Il est l’un des plus gros producteurs du village. Malgré cette performance, Akouah Techi Philippe avoue qu’il s’en sort difficilement à cause de la chute drastique du prix des régimes de palme. « Ce faible prix a une véritable incidence sur le revenu des producteurs qui ont du mal à scolariser leurs enfants. Que faire, en effet, quand le prix d’achat du kilo est de 38 F ? L’Etat doit faire un effort pour que le prix soit revu à la hausse. Notre souhait est que le prix du régime de palme passe à 100 F le kilo ».

Sidibé Fatima n’est pas mieux lotie. La productrice de palmier à huile soutient que depuis plus de 10 ans, cette filière ne lui a pas rapporté grand-chose à cause des prix qui ne cessent de dégringoler. Une situation qui a pour conséquences : pauvreté, famine, manque de soins, le lot quotidien de ces planteurs individuels. Pour joindre les deux bouts, cette mère de trois enfants s’est reconvertie en commerçante. « Certains producteurs ont fait comme moi en changeant d’activités, d’autres ont bradé leurs champs car incapables de les entretenir, d’autant que pour s’offrir des intrants agricoles, il faut des moyens financiers ».

Les acheteurs véreux ont le vent en poupe

Profitant de la chute du prix du régime, des acheteurs véreux se sont installés dans les régions où ils proposent leurs propres prix aux producteurs ; sans autorisation du ministère en charge de l’Agriculture. Cette situation, déplorent les producteurs, prospère de plus en plus dans les zones à forte production. « Il y en a qui viennent voir directement les producteurs à qui ils imposent 55 FCFA le kilo, alors que le prix officiel est de 38 Fcfa / le kilo. Ce désordre dans la filière amène nos producteurs à brader leurs produits », a révélé dame Sidibé.

Les ambitions du gouvernement

La Côte d’Ivoire a pour ambition d’être un pôle d’exportation d’huile de palme à destination des pays de la sous-région. Pour y parvenir, le pays a initié le 3e Plan palmier 2015-2020, financé à hauteur de 323 milliards de Fcfa. Cette stratégie de développement de la filière s’étendra sur la période 2015-2025 et visera la création et la restauration de 200 000 hectares de plantations à travers 8 régions ; avec pour bénéficiaires les jeunes et les femmes. Dans ces localités, des huileries de tailles variables seront implantées, en partenariat avec des opérateurs privés.

Les explications du Conseil hévea-palmier à huile

Qu’est-ce qui explique la chute du prix de l’huile de palme ? A cette question, la réponse du directeur général du Conseil hévea-palmier à huile, Fougnigué Edmond Coulibaly, rencontré au siège de ladite structure, est édifiante : « la chute du prix est liée essentiellement à la mauvaise campagne contre l’huile de palme. Il est normal que les filières agricoles connaissent ce mouvement de hausse et de baisse au niveau de leurs prix. Les fondamentaux du marché sont tributaires de l’offre et de la demande. A la vérité, rien ne justifie qu’on soit en totale dégringolade. La filière est simplement impactée négativement par la mauvaise campagne contre l’huile de palme », a-t-il déploré.

Cette campagne négative a pour principale conséquence de restreindre l’accès à certains marchés ; notamment européens. « Or, si vous restreignez l’accès, vous détruisez la réputation de l’huile de palme. Mieux, indique-t-il « en plus, dans des supermarchés, le consommateur découvre des produits avec la mention sans huile de palme. Beaucoup d’amalgames font croire que l’huile de palme est dangereuse pour la santé, donc impropre à la consommation. Par conséquent, le consommateur qui voit un produit “estampillé” sans huile de palme pourrait croire qu’il est dangereux pour la santé” ».

Conséquence, le prix qui chute à l’international est ressenti en Côte d’Ivoire. En d’autres termes, le mécanisme de fixation du prix, à en croire le Directeur général, est fonction du prix à l’international. D’ailleurs, les producteurs reconnaissent cet état de fait, mais affirment toutefois que le marché reste local. « Les producteurs estiment que la comptabilisation de tous les sous-produits (tels que les graines) pourra apporter une plus-value dans le futur mécanisme de prix afin d’améliorer leur rémunération. », a-t-il rassuré.

Il prévient : « si le prix chute, les planteurs ne pourront plus entretenir leurs plantations. Si tel est le cas, les industriels n’auront plus de graines et nous finirons par perdre des parts de marchés ; ce qui laissera la porte ouverte à de l’huile importée qui va envahir le marché ». Pour ne pas en arriver à cette situation, le Directeur général du Conseil hévéa-palmier à huile conseille une meilleure rémunération du produit.

S’agissant des agissements des spéculateurs, Fougnigué Edmond Coulibaly fait savoir que des dispositions sont prises par la structure qu’il dirige, pour y mettre fin, pour que les producteurs bénéficient d’une plus juste rémunération. « Notre approche n’est pas de supprimer un acteur ; tous les acteurs ont leur place dans la filière. Cependant, tout le monde doit travailler en respectant les règles que nous mettons en place. Pour le bonheur des planteurs », a-t-il martelé.

Un laboratoire pour contrôler la qualité des huiles importées souhaité

L’huile de palme produite dans le monde est dans la tourmente. Celle produite en Côte d’Ivoire est décriée à tort.

S’appuyant sur les résultats des recherches scientifiques, Dr Konan Eugène, directeur régional du Centre National de Recherche Agronomique (Cnra) a assuré que l’huile de palme rouge est un réservoir d’éléments bénéfiques pour la santé. Elle est riche en phyto-nutriments pour la santé humaine et de la vitamine E. Et contrairement aux idées reçues, elle a des effets bénéfiques dans la prévention des maladies cardiovasculaires parce qu’elle ne se comporte pas comme des graisses animales. « Il y a 30 ans, cette huile figeait ; maintenant, elle est plus fluide. C’est une huile de bonne qualité comparativement à celles d’Indonésie et de Malaisie qui sont relativement plus figées », a-t-il assuré.

Face à la campagne d’intoxication dont est victime aussi l’huile de palme rouge de Côte d’Ivoire, l’expert propose la création d’une fondation de recherche sur l’huile de palme qui réunirait des agronomes, des technologues, des nutritionnistes, des biochimistes, des sociologues, des cardiologues et des diabétologues pour explorer toutes les vertus qui restent encore insoupçonnés de cette huile d’origine ivoirienne.

Dans l’immédiat, la mise en place d’un laboratoire de spécification du label ivoirien peut être envisagée. « Ce laboratoire peut aussi servir pour contrôler la qualité des huiles importées de certains pays. La Côte d’Ivoire a besoin de mettre en place un laboratoire de contrôle de qualité de ces huiles qui inondent notre marché », a fait savoir Dr Konan Eugène.

La filière palmier à huile de la Côte d’Ivoire reste incontournable dans la zone Uemoa, poursuit-il, avec 90% de part de marché. 75% de la production nationale sont consommés localement quand 25% sont exportés. Elle enregistre 2.100.000 tonnes de régimes par an, 500.000 tonnes d’huile de palme brute par an. Toutefois, il urge pour la Côte d’Ivoire de travailler sur la compétitivité et sur la durabilité de la culture.

Sur la durabilité, Dr Konan Eugène propose l’intensification de la culture à travers une pratique intelligente et durable qui améliore la productivité des plantations existantes, en particulier les plantations villageoises qui constituent 75% du verger national. Une utilisation rationnelle des terres agricoles pour produire plus et mieux sur le même sol ou la même parcelle afin de libérer de l’espace pour d’autres spéculations ou pour le reboisement est aussi un des objectifs à atteindre.

A l’en croire, les planteurs individuels doivent aussi être encadrés pour une bonne application de l’itinéraire technique de plantation qui commence d’abord par l’utilisation de matériel végétal sélectionné, produit par le Cnra. « Il faut du matériel végétal sélectionné, adapté aux zones de production pour qu’on puisse assurer l’expression du potentiel de production. Si tu prends du matériel végétal ‘’tout venant’’ qui n’a aucune performance de production, tu ne peux pas faire des rendements. Il faut donc s’adresser au Cnra, à la Station de recherche de La Mé (route d’Alépé), pour obtenir du matériel sélectionné », a-t-il suggéré.

*« Un dossier réalisé à la suite d’une subvention du Programme Dialogue Politique en Afrique de l’Ouest de la Konrad-Adenauer-Stiftung dans le cadre du projet de formation et d’appui aux journalistes pour la couverture des questions économiques ».

EMELINE P. AMANGOUA
fratmat.info

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