Le Burkina Faso en guerre contre les djihadistes

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Les attaques récentes contre les églises du nord du pays sont probablement le fait de djihadistes dont les activités se développent dans la région. Pourtant, une opération militaire vise à contenir cette menace.

Le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, Alpha Barry, a affirmé que la lutte contre le terrorisme est devenue un combat “pour la survie même” de la région du Sahel, qui comprend le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger.

Rien qu’au Burkina Faso, les djihadistes ont forcé 100 000 personnes à fuir leur foyer au cours des derniers mois.

Qui sont ces djihadistes ?
Trois principaux groupes ont établi un front dans le nord et l’est du pays : Ansarul Islam, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et le groupe État islamique dans le Grand Sahara (EIGS, ISGS en anglais).

L’une des attaques les plus audacieuses de ces dernières années – le siège en janvier 2016 d’un hôtel de luxe qui a tué 30 personnes dans la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou – a été menée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui a depuis fusionné avec deux autres groupes djihadistes – Ansar Dine et Al-Mourabitoun – pour former le GSIM.

Ces groupes opèrent au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Ils ont été à l’origine de deux autres attentats à Ouagadougou – sur un café en août 2017, au siège de l’ambassade de France et à l’état-major des armées en mars 2018.

Une vidéo de propagande diffusée le mois dernier par le groupe État islamique montre que le Sahel suscite des convoitises. Les “frères” du Burkina Faso et du Mali ont été félicités pour leur serment d’allégeance.

Ansarul Islam, qui signifie Défenseurs de l’islam, est un groupe local fondé en 2016 par le populaire prédicateur radical, Ibrahim Malam Dicko. Il aurait combattu au Mali, aux côtés des djihadistes qui se sont emparés du nord du pays en 2012. Juste avant l’intervention française.

Ibrahim Malam Dicko est décédé en avril 2017, et son frère Jafar dirige désormais le groupe, qui a reçu un soutien logistique d’AQMI et de l’ISGS, selon Human Rights Watch.

La frustration face au manque d’emplois et d’infrastructures a fait du Burkina Faso un terreau fertile pour le recrutement des djihadistes – et il existe de nombreux petits groupes qui ne sont pas tous affiliés à de grands groupes ou n’épousent pas tous l’idéologie islamiste.

Selon “The Economist”, beaucoup se battent pour des terres agricoles ou contre la corruption du gouvernement, mais “adoptent l’étiquette djihadiste parce qu’ils sont musulmans”.

Au cours du dernier mois, il y a eu au moins cinq attaques ciblant des chrétiens, dont plusieurs ont eu lieu pendant les offices religieux. Même s’il n’y a eu aucune revendication, les analystes sont persuadés que toutes ces attaques portent la marque des djihadistes.

Selon Djallil Lounnas, expert des groupes djihadistes au Sahara à l’Université Al Akhawayn au Maroc, il s’agit d’un changement de tactique.

“Habituellement, les minorités religieuses ne sont pas touchées, en particulier les minorités chrétiennes, et ce depuis que les violences ont éclaté dans la région”, constate-t-il.

C’est particulièrement troublant, étant donné la longue histoire de tolérance religieuse du Burkina Faso, mais cela fait partie d’une stratégie djihadiste visant à attiser le conflit religieux et intercommunautaire.

“C’est une vieille tactique de guérilla et de terrorisme que d’accroître leurs rangs en alimentant la violence de masse”, analyse Louis Audet-Gosselin du Réseau canadien de recherche sur le terrorisme.

Les conflits et l’instabilité créent également les conditions qui permettent aux djihadistes d’installer des bases et de contrôler des territoires.

“La situation sécuritaire dans le pays se dégrade presque tous les jours”, s’alarme Louis Audet-Gosselin. “Les groupes djihadistes gagnent du terrain petit à petit, forçant les fonctionnaires et la souveraineté de l’État à se retirer de plusieurs zones rurales et de plus en plus de certaines villes”.

Les personnes visées sont souvent associées à l’État – conseillers villageois, maires, policiers, fonctionnaires et civils accusés de collaborer avec les militaires.

Les écoles et les enseignants sont des cibles faciles pour les djihadistes qui s’opposent à l’éducation laïque. Récemment, plus d’un millier d’écoles dans le nord ont été fermées, ce qui affecte plus de 150 000 enfants.

Human Rights Watch a également signalé de nombreux abus commis par les forces gouvernementales au cours d’opérations antiterroristes, notamment des exécutions sommaires de Peuls, un groupe ethnique d’éleveurs semi-nomades en grande partie musulman.

“L’armée est assez brutale et tend à désigner l’ensemble de la communauté peule comme coupable en l’assimilant à des groupes djihadistes… ce qui conduit à un djihadisme croissant de la part des jeunes peuls”, explique Louis Audet-Gosselin.

Le manque de services publics a créé un vide que les groupes djihadistes ont exploité en comblant parfois les attentes de la population. Mais leur présence signifie surtout chaos et violence.

Un habitant de la ville de Djibo, dans le nord du pays, a témoigné au micro de la BBC : “Beaucoup de maisons ont été abandonnées. L’activité économique s’est arrêtée. Nous n’avons plus de vie nocturne. Les Occidentaux qui sont des cibles de grande valeur sont partis.”

Selon des témoins, des hommes armés se livrent aussi de temps en temps à des actes de saccage, pillant des magasins et agressant des personnes.

Il existe une crainte, celle que l’influence des groupes djihadistes basés au Burkina Faso ne s’étende au sud, leur donnant accès à des ports maritimes. Qui dit ports maritimes parle de la possibilité de faire passer des armes, de la drogue et d’autres marchandises illégales afin de financer leurs activités.

“Dans la lutte contre le terrorisme, le Burkina Faso est une barrière entre le Sahel et les pays côtiers. Si cette barrière est brisée, ses voisins seront touchés”, prévient le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso.

En avril, lorsque le dirigeant djihadiste Oumarou Diallo, qui opérait dans l’est du Burkina Faso, a été arrêté avec une vingtaine de ses partisans, des sources de sécurité ont confié à la BBC avoir trouvé des preuves qu’il était en contact avec des personnes au Togo, au Bénin et au Ghana.

L’exemple le plus médiatisé de cette insécurité grandissante est l’enlèvement de touristes français dans un parc national dans le nord du Bénin, en mai dernier.
Lorsque les officiers des forces spéciales françaises ont obtenu leur libération, les ravisseurs les avaient déjà transférés dans le nord du Burkina Faso – et beaucoup pensent qu’ils prévoyaient de les livrer à des djihadistes basés au Mali.

La ministre des Armées françaises, Florence Parly, a déclaré à ce moment-là qu’il y avait deux principaux groupes djihadistes opérant près de l’endroit où les touristes français avaient été emmenés – l’un lié à Al-Qaïda, et l’autre au groupe État islamique.

Le journal “Le Monde” rapporte, citant une source anonyme, que des groupes armés se sont installés dans le nord du Togo et du Bénin, dans des “zones forestières difficiles d’accès, où sévissent les trafiquants et les bandits”.

Les analystes affirment que de nombreuses recrues s’enrôlent, non pas par idéologie, mais simplement parce qu’elles y voient la seule alternative au dénuement.

Mais ce qui préoccupe le gouvernement burkinabè, c’est que, selon certains responsables du renseignement, des anciens soldats du Régiment de sécurité présidentiel, le RSP, ont prêté main-forte à Ansarul Islam.

Le RSP était une unité créée par l’ancien président Blaise Compaoré pour sa sécurité personnelle, mais lorsque celui-ci a été écarté du pouvoir à la suite d’un soulèvement en 2014, la garde rapprochée du président s’est sentie menacée.

Dans un effort de survie, ses membres ont organisé un coup d’État de courte durée contre le gouvernement de transition avant d’être contraints de céder le pouvoir par les pays voisins.

Fuyant la justice par la suite, de nombreux éléments du RSP, dont un officier appelé Boubacar Sawadogo, sont tombés dans la clandestinité.

En 2017, selon un journal malien, des responsables ont déclaré avoir intercepté une communication entre Boubacar Sawadogo et le dirigeant d’Ansarul Islam.

Ceci confirme ce que le gouvernement soupçonnait depuis longtemps : la possibilité que d’anciens membres du RSP aient participé à des attaques djihadistes au Mali et au Burkina Faso.

Que faire face à la menace djihadiste ?

L’état d’urgence a été déclaré dans plusieurs régions en décembre, accordant aux forces de sécurité des pouvoirs supplémentaires pour fouiller les maisons et restreindre la liberté de circulation.

Selon l’ONU, plus d’un cinquième du budget national du Burkina Faso est consacré à la défense et à la sécurité.

Mais l’ancienne colonie française, un pays pauvre, même selon les normes ouest-africaines, est en sérieuses difficultés. Les forces de sécurité restent mal équipées face à l’ampleur de la menace djihadiste.

Le Burkina Faso fait partie du G5 Sahel, une force régionale de cinq pays, créée en septembre 2017 pour combattre les djihadistes.

La plupart des fonds promis par les partenaires et les donateurs – y compris l’Union européenne – n’ont toujours pas été remis au Burkina Faso, selon Simon Gongo, un journaliste de la BBC.”La reconstruction d’un appareil de sécurité efficace, avec une branche du renseignement compétente et des commandos d’élite, prendra du temps, de même que l’amélioration de la capacité opérationnelle du G5″, affirme International Crisis Group dans son dernier rapport sur le Burkina Faso.

La France a également près de 4 500 soldats dans la région du Sahel, dans le cadre d’une mission antiterroriste en cours : l’opération Barkhane.

Natasha Booty
BBC News

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