Wodié : « Pourquoi j’ai démissionné du Conseil Constitutionnel » Côte d’Ivoire

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Le professeur Francis Vangah Wodié donné les raisons de sa démission de la présidence du Conseil Constitutionnel, le 2 février 2015, à travers un ouvrage de 130 pages présenté le vendredi 12 octobre 2018, dans les locaux du Centre international pour le développement du droit (Cidd), à la Riviera Bonoumin.

Dans cet ouvrage, le Président-fondateur du Pit dit avoir démissionné en raison de pressions du Président de la République Alassane Ouattara, en vue de déclarer constitutionnellement conforme, une loi l’autorisant à ratifier le Protocole relatif aux amendements à l’Acte constitutif de l’Union africaine adoptée le 3 février 2003 en Éthiopie et le 11 juillet 2003 au Mozambique.
« (…) À l’occasion de la réunion hebdomadaire du mardi 13 janvier 2015, je fus convoqué et reçu par le Président de la République, le jeudi 8 janvier 2015, pour m’intimer l’ordre à brûle-pourpoint, de signer la décision. Quoi ? Monsieur le Président, me suis-je exclamé. J’étais abasourdi lorsque je m’entendis à nouveau ordonner de signer. La coupe était pleine, et je ne pouvais pas boire le calice jusqu’à la lie. (…) Le Président de la République, peut-être en raison du pouvoir de nomination qui est le sien, se plaçait ainsi fort malencontreusement, dans la position d’un supérieur hiérarchique, ayant pouvoir pour donner des instructions et adresser des injonctions aux membres du Conseil Constitutionnel. En l’espèce, à un Président du Conseil Constitutionnel. Ce qui est inacceptable (…) Bien sûr ! Je ne pouvais pas signer un tel acte. Et je ne l’ai pas signé. Signer un tel acte ou tout autre, c’est commettre une triple violation et comme un triple parjure. À savoir, violation de la Constitution, violation du serment ainsi que la violation du devoir et de ma propre conscience. Pour ne pas manquer aux devoirs de ma charge et pour rester en accord avec moi-même, j’ai donc pris la décision, en mon âme et conscience de remettre ma lettre de démission, déjà prête, au Président de la République», explique le Francis Wodié, dans son ouvrage intitulé “Côte d’Ivoire, Conseil Constitutionnel : 2010-2015, regard(s) croisé(s)“.
« Le Conseil Constitutionnel était au bord de la paralysie »
Toujours dans l’ouvrage, Francis Wodié a laissé entendre qu’il ne pouvait pas accepter de prendre une telle décision, en raison d’une procédure de saisine non conforme. Selon lui, le Conseil Constitutionnel a découvert qu’en plus de la loi, le dossier transmis par les services de la Présidence comportait également un projet de loi autorisant ratification du protocole. Il précise que c’est à travers le secrétariat général du gouvernement que ses services ont été saisis. Or, expliquera-t-il, « le Conseil Constitutionnel ne peut être saisi, par la même voie, d’un projet de loi et d’une loi ayant le même objet. En plus, le Conseil Constitutionnel ne peut être saisi d’un projet de loi que par la voie consultative et non par la voie contentieuse comme c’est le cas en l’espèce ». Il estime également que le Secrétaire général du gouvernement n’a pas pouvoir de saisir directement le Conseil Constitutionnel. Une liste de vice de procédure, entre autres, qui l’ont poussé à entreprendre des démarches auprès du Président de la République pour surseoir à sa demande. Francis Wodié a également dénoncé plusieurs actes de défiance de certains de ses collaborateurs, au sein du Conseil constitutionnel. Ces Conseillers auraient tenté, selon lui, de modifier les rapports de réunions qu’ils ont au sujet des documents, afin de les valider à son insu.
Ce qui avait détérioré, révèle -t-il, l’ambiance au sein de l’Institution: « Le Conseil Constitutionnel était au bord de la paralysie. La loi d’autorisation n’existe pas encore juridiquement. Les conseillers coalisés ont rejeté le texte que je leur ai proposé. Un texte qui, comportait pourtant des motifs suffisants pour établir que le Conseil Constitutionnel ne pouvait s’en tenir qu’à l’examen du protocole, et non statuer sur la loi d’autorisation qui n’existe pas encore juridiquement. Car, ne pouvant pas être adopté par l’Assemblée nationale avant la décision de conformité du Conseil Constitutionnel qui n’avait pas encore été saisi. Le projet de décision qui a été présenté à la séance du mardi 23 décembre 2014 et qui a donné lieu à un vote mécanique, très tôt sollicité et auquel je n’ai pas voulu opposer de refus, ne tient nullement compte des considérations juridiques (Constitutionnelles) minimales qui s’imposent à nous. Le contenu de ce projet l’atteste suffisamment. Il ne comporte, à vrai dire aucun motif juridique servant de support aux dispositifs. Pis, Pis ! Tant la séance de délibération du 23 décembre 2014 que le texte du projet de décision ont carrément ignoré l’article 86 de la Constitution qui s’offre pourtant comme dispositif essentiel en la matière, en fournissant les éléments appropriés de réponse au problème posé. (…) Je me suis donc gardé de prendre part au vote de la séance du mardi 23 décembre 2014, en ayant signifié que je ne peux pas signer en l’état, en ma qualité de Président du Conseil Constitutionnel, une telle décision qui n’en est pas une. Car, violant délibérément la Constitution. Réagir autrement, serait, manquer aux devoirs de ma charge».
Dans ce livre de 130 pages, l’ex-président du Conseil Constitutionnel est longuement revenu sur le rôle de l’Institution dans un État de droit, et sur sa composition.

J-H Koffo
L’Intelligent d’Abidjan

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