Entretien avec Wakili Alafé, organisateur de L’AMF et Patron de l’Intelligent d’Abidjan

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Photo par Mireille Libio - © Ivorian.Net - Première édition d’Abidjan média forum dans les locaux de la salle de forum de l’hôtel Ivoire vendredi 7 septembre 2018

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ENTRETIEN AVEC WAKILI ALAFÉ, ORGANISATEUR DE L’AMF ET« PATRON » DU QUOTIDIEN L’INTELLIGENT D’ABIDJAN « Un fonds de 250 envisagé pour encourager l’innovation et l’insertion des jeunes »

En réalisant, pour ma chronique de ce lundi 10 septembre en entretien avec Wakili Alafé,le patron de L’Intelligent d’Abidjan, j’ai simplement voulu rendre hommage à un homme de passion et de conviction qui voit dans une presse libre et indépendante un marqueur fort de la démocratie et l’un des vecteurs d’une Afrique qui évolue et se transforme. Les populations sont sous-informées, lorsque les régimes prennent la forme d’une dictature ; elles sont surinformées dans les sociétés qui voient se déverser sur elles des millions d’informations, avec une accumulation de « fake news » et des sites internet au journalisme bâclé et qui, par souci de rentabilité, sont uniquement guidés par la nécessité de faire du « bruit », du « buzz ». La course à l’immédiateté de l’information rend de plus en plus difficile le maintien d’une distance critique qui devrait toujours exister en matière d’information. Le monde nouveau de l’information numérique, en particulier les réseaux sociaux, nous tend des pièges que nous ne savons pas toujours éviter. Le faux journalisme nuit à l’esprit critique et l’esprit de recherche de la vérité en portant à des sommets l’audience des sites d’info- divertissement. Or, le droit à informer et le droit d’être informé doivent toujours être guidés par le devoir de vigilance.

CHRISTIAN GAMBOTTI – L’Intelligent d’Abidjan est né le 3 septembre 2003, au plus fort de la crise politique. En 2018, vous cé- lébrez les 15 ans de votre journal en organisant à l’hôtel Sofitel Ivoire l’Abidjan Média Forum au- tour du thème de la liberté de la presse. Pourquoi avoir voulu célébrer ce quinzième anniversaire ? Est-ce le signe de votre réussite en tant que « patron » de presse ?
Wakili Alafé – Permettez-moi de vous dire que célébrer les 15 ans de L’INTEL- LIGENT D’ABIDJAN, à l’hôtel Ivoire, ces 7 septembre 2018, m’a rempli à la fois d’émotion et de fierté. Emotion, car c’est à l’hôtel Ivoire, à la salle des Fêtes, ou la petite salle comme on dit souvent, que nous avions fêté, en septembre 2004, notre premier anniversaire, avec la volonté de poursuivre une aventure qui avait commencé le 3 septembre 2003, et l’ambition de grandir et d’aller loin. Fierté, car, 15 ans après, dans un secteur où les titres disparaissent sou- vent , L’Intelligent d’Abidjan existe tou- jours sur la ligne éditoriale que nous nous étions fixée : un journal non-parti- san, un journal indépendant, un journal des libertés. J’emploie le mot « aventure », mais créer et faire vivre un quotidien,
c’est tout sauf une « aventure », c’est un projet économique, industriel, qui ne doit rien laisser au hasard. Si L’Intelli- gent d’Abidjan existe toujours, 15 après, c’est grâce au travail accompli, souvent dans des conditions très difficiles, qu’elles soient économiques ou à cause d’autres facteurs. Chaque jour, j’avais une raison de tout arrêter, mais, chaque jour aussi , j’avais dix raisons de conti- nuer.

CG – Vous avez voulu célébrer ce 15è anniversaire autour de la question de la liberté de la presse. Pensez-vous que la li- berté de la presse est menacée, d’une façon générale, partout dans le monde et, plus particu- lièrement, en Afrique ? Quel lien faites-vous entre la liberté de la presse et la transformation de l’Afrique ?
WA – J’ai voulu que ce premier Abidjan Média Forum, que je conçois comme un rendez-vous des professionnels de la presse et des partenaires des médias, se construise sur le thème de la liberté de la presse. Il existe des organisations prestigieuses, comme Reporters Sans Frontières, qui publient chaque année un classement de l’état de la liberté de
la presse dans le monde. Mon but n’est pas de les concurrencer. La question de la liberté de la presse se pose aussi dans des États démocratiques comme la Côte d’Ivoire, comme elle se pose aux États-Unis ou en France. Vous imaginez que cette question ne se pose pas de la même manière en Corée du Nord et en Côte d’Ivoire. Marwan Ben Yahmed, pour Jeune Afrique, a rappelé, à juste titre, que seule la rentabilité peut garantir la liberté et l’indépendance de la presse. Si je prends, dans l’économie de l’infor- mation numérique, l’exemple de Média- part, c’est sa rentabilité qui garantit son indépendance. Sans publicité, ce sont les abonnés et les « clics payants » qui assurent l’indépendance de Médiapart. J’ajoute, pour garantir cette indépen- dance, qu’il faut un cadre fiscal appro- prié aux spécificités d’un secteur, la presse écrite, qui n’entre pas toujours dans les schémas classiques de renta- bilité. Il faut aussi interroger les banques et les établissements financiers, toujours très frileux, lorsqu’il s’agit d’apporter une aide financière aux journaux. Quant au lien qui existe entre la liberté de la presse et la transformation de l’Afrique, il est évident que la liberté de la presse est un marqueur fort de la démocratie. Comment imaginer la consolidation de la démocratie sans la liberté de la presse
? Dans une Afrique qui évolue, se trans- forme, dans une Afrique devenue l’un des vecteurs de la croissance mondiale, dans une Afrique désormais connectée à la planète entière, cette transfiguration de notre continent doit être accompa- gnée par une presse libre et indépen- dante. Un journal qui paraît, c’est une boussole sur les chemins de la liberté et du progrès. Nous sommes face à de nouvelles générations avides d’informa- tion et de démocratie. La presse écrite libre et indépendante répond à leurs at- tentes, alors que se propagent sur les réseaux sociaux la pandémie des « fake News » et les pièges de la surinforma- tion et du journalisme bâclé.
CG- Comptez-vous organiser l’an prochain un deuxième Abidjan Média Forum ? On parle aussi de la créa- tion de la Fondation de L’Intelligent d’Abidjan.
WA – L’Abidjan Média Forum a vocation à exister tous les deux ans, mais nous allons encore réfléchir, sur la question, garder le sigle (AMF) mais si cela peut devenir Africa Média Forum. Nous allons donc envisager d’en faire un événement tournant.. La première édition a pu se dérouler grâce à l’aide de nos parte- naires. Je tiens à les remercier. J’ai été sensible aussi à l’appui dont nous avons
bénéficié de la part des Hautes autorités du pays, en particulier Monsieur le Pre- mier ministre, représenté par Mme la ministre Anne-Désirée Ouloto, dont l’in- tervention a été remarquée. Effective- ment, nous avons créé la Fondation de L’Intelligent d’Abidjan. Je lance un appel aux bonnes volontés afin de constituer un fonds de 250 millions Fcfa qui aidera à l’innovation, à la création et au déve- loppement d’une culture de l’entrepre- neuriat dans le secteur de la presse et de l’information chez les jeunes. À notre modeste niveau, nous apportons une contribution de 10 millions, et nous at- tendons les dons et contributions de toutes les bonnes volontés. La jeunesse africaine est dynamique, active, avec une formidable envie de créer. Nous de- vons l’aider. De nombreuses idées pous- sent, mais le manque de financement contrarie souvent la concrétisation des projets. Cette initiative nous tient à cœur, et nous allons la porter avec en- gagement et enthousiasme.

Entretien réalisé par Christian Gambotti Agrégé de l’Université Chroniqueur,
spécialiste de la communication et des médias

L’Intelligent d’Abidjan

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