Editorial : Pleure, ô mon pays bien-aimé !

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Ainsi donc le divorce entre les formations politiques de MM. Bédié et Ouattara est consommé. Et nous nous retrouvons plus de vingt ans en arrière, aux heures sombres où le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) faisait la guerre au Rassemblement des républicains (Rdr). A cette époque, le Pdci était au pouvoir et le Rdr dans l’opposition.

Et celui-ci avait pour allié le Front populaire ivoirien (FPI). Aujourd’hui, le PDCI vient de rompre avec le RDR et annonce qu’il va s’allier avec qui il veut, c’est-à-dire le FPI. Et la boucle aura été bouclée. Chaque parti aura fait alliance avec chaque parti, contre un troisième, pour le plus grand malheur des Ivoiriens.

Oui, nous sommes revenus aux heures noires de notre histoire, lorsque nous nous étions divisés et que nous nous apprêtions en toute inconscience à déchirer notre pays. Vers quoi nous dirigeons-nous ?

Apprête-toi à pleurer de nouveau, ô mon pays bien-aimé.

Que s’est-il donc passé pour que nous en arrivions là ? Personne n’a entendu le PDCI faire le moindre reproche au RDR pour sa gouvernance. Le fait est qu’ils cogèrent le pouvoir. Le vice-président de la Côte d’Ivoire est du PDCI, ainsi que plusieurs présidents d’institution, ministres importants et directeurs généraux d’entreprises publiques. Alors, que s’est-il passé ?

Autant que je sache, le PDCI reprocherait au RDR de ne pas vouloir lui céder le pouvoir en 2020. Je ne sais pas quelle promesse a été faite à qui, mais j’ignore où, dans l’histoire, un parti qui dirige un pays s’est volontairement écarté du pouvoir pour céder la place à un autre. Sans doute que lorsque l’on a eu le pouvoir une fois sans s’être battu, l’on croit qu’il devrait en être toujours ainsi.

N’en déplaise à nos amis du PDCI, le pouvoir se conquiert toujours, par les urnes ou par les armes. Et il était naïf de croire que parce, que l’on avait aidé le RDR à accéder au pouvoir en 2010 et à le conserver en 2015, il l’aurait cédé au PDCI en 2020.

Aucun parti n’a jamais cédé un pouvoir, surtout lorsqu’il l’a conquis avec son sang. Encore que dans le cas d’espèce, le président Ouattara proposait un partage du pouvoir avec son allié, et non sa confiscation au seul profit de son parti.

Aujourd’hui, le PDCI veut conquérir tout seul le pouvoir, sans compter sur quelqu’un. A la bonne heure ! Mais avec quel champion ? On me dira peut-être que ce n’est pas mon affaire. Cela ne m’empêchera pas de donner mon opinion. Un faisceau d’indices me fait penser que ce champion serait le président du PDCI lui-même.

Si c’était le cas, serait-ce raisonnable de chercher à conquérir le pouvoir à 86 ans, lorsque l’on l’a déjà exercé et perdu il y a vingt ans, et que l’on a déjà échoué deux fois à le conquérir ? Rappelons que M. Bédié a été renversé par un coup d’Etat à la fin de 1999, qu’il a tenté de revenir en 2000 à la faveur de l’élection présidentielle, qu’il n’avait pas été retenu par son parti, qu’il s’était présenté en candidat indépendant, et que sa candidature n’avait pas été retenue.

En 2010, il avait été à nouveau candidat, mais avait perdu. Rappelons que lorsque M. Bédié perdait le pouvoir en fin 1999, ceux qui auront 35 ans en 2020 en avaient à peine 15. A cet âge-là, on ne s’intéresse pas à la politique. Aujourd’hui, la majorité de la population ivoirienne à moins de 35 ans.

Cette majorité d’Ivoiriens ne sait rien du règne de Bédié. Les plus âgés se rappellent, eux, une période où la Côte d’Ivoire était divisée par une idéologie qui catégorisait les Ivoiriens. Et la perspective d’une candidature de Bédié, allié au FPI de Simone Gbagbo, ne peut que leur rappeler cette période nauséabonde de notre histoire qui a failli nous détruire.

Apprête-toi à pleurer, ô mon pays bien-aimé.

En 2000, le FPI avait profité de la guerre entre le PDCI et le RDR pour jouer au troisième larron. Allons-y seulement ! Les peuples étant ce qu’ils sont, si M. Bédié arrivait à conquérir le pouvoir, que nous proposerait-t-il ? Connaît-il encore les Ivoiriens qu’il serait amené à gouverner ? Depuis son départ du pouvoir, il y a eu une rébellion, une guerre avec la France, une guerre entre nous, et internet qui était embryonnaire il y a vingt ans est aujourd’hui incontournable.

Les Ivoiriens ont beaucoup changé. Et il n’est pas certain que M. Bédié les comprenne encore et arrive à les gouverner. Je pense pour ma part que M. Bédié est déjà entré dans l’Histoire par la grande porte. Lorsqu’il avait perdu le pouvoir, personne ne pensait qu’il reviendrait dans ce pays. Il y est revenu en triomphe. Il a refermé en 2010 la boîte de Pandore qu’il avait imprudemment ouverte et le monde entier lui en a été reconnaissant.

Le président de la République élu avait fait de lui presque un co-président. Quel honneur M. Bédié n’a-t-il pas encore eu ? S’il n’était pas redescendu dans l’arène politicienne en présidant son parti, s’il était demeuré au-dessus de la mêlée, il serait devenu un grand sage d’Afrique que l’on serait venu consulter du monde entier. Et il aurait eu le droit de tancer ce pouvoir à la moindre dérive.

S’il cédait demain aux chants des sirènes qui l’entourent et lui font croire que le peuple l’appelle, il prendrait le grand risque de sortir de l’Histoire par la petite porte ; mais surtout, l’aîné qu’il est porterait à jamais la responsabilité, si notre pays venait à se diviser encore pour les mêmes raisons que lorsqu’il dirigeait le pays. L’on dit qu’un homme politique agit en pensant à la prochaine élection, alors qu’un homme d’Etat le fait en pensant à la prochaine génération. Nous rêvons que M. Bédié agisse pour la prochaine génération. Afin que nous n’ayons pas à pleurer notre pays bien-aimé.

Venance Konan
fratmat.info

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