Ordonnance d’amnistie : Déclaration officielle de la Confédération des Organisation de Victimes de la Crise Ivoirienne (C.O.VI.C.I)

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Déclaration officielle de la Confédération des Organisation de Victimes de la Crise Ivoirienne (C.O.VI.C.I) sur l’ordonnance d’amnistie signée le 06 Août 2018 par le Président de la République de Côte d’Ivoire.

ORDONNANCE D’AMNISTIE DU 06 AOUT 2018 :
Quel sort le Gouvernement réserve-t-il aux milliers de victimes de ces infractions graves amnistiées ?
Abidjan, le 10 Août 2018 : Alors que la communauté de victimes que nous sommes s’attend à voir des actes judiciaires forts, des procès se dérouler, des vérités se dire pour comprendre les raisons profondes qui ont fait de nous des victimes ; alors que nous attendions des condamnations se faire pour la restauration de notre dignité et la garantie de non répétition de ces actes odieux ; Alors que nous attendions des décisions judiciaires ordonnant des réparations justes et équitables en faveur des victimes, nous apprenons avec consternation qu’une ordonnance d’amnistie a été signée pour effacer les infractions graves commise lors de la crise pot-électorale.
En effet, le Président de la République a annoncé le lundi 06 Aout 2018, lors de son discours à la Nation à la veille de la célébration du 58ème anniversaire de l’indépendance de la Cote d’Ivoire, avoir signé une ordonnance d’amnistie bénéficiant à près de 800 personnes poursuivies ou détenues pour des faits en lien avec les crises postélectorales de 2010 et 2011. Cette décision a été prise dit-il, pour booster la réconciliation nationale.
La Confédération des Organisations de Victimes de la Crise ivoirienne (C.O.VI.C.I) tout en saluant cet acte qui pourrait contribuer à la décrispation de l’atmosphère sociopolitique en Côte d’Ivoire, se déclare cependant profondément préoccupée quant au sort réservé aux nombreuses victimes de violations perpétrées au cours de cette période postélectorale dans la mesure où le Président de la République indique seulement et de manière vague qu’elles «continueront de bénéficier d’une attention particulière de l’Etat».
Pour rappel, selon le rapport final de la Commission Dialogue Vérité Réconciliation (CDVR), les cas de violations signalées au cours de cette période couverte par l’amnistie sont estimés à 34018 et constituent 46,87% de l’ensemble des dépositions prises. Parmi les évènements connus de cette période, nous avons :
– La répression de la marche du RHDP sur la Radio télévision Ivoirienne (RTI) le 16 décembre 2010,
– Les tueries des femmes d’Abobo le 03 mars 2011,
– les victimes du commando invisible à Abobo en février-mars 2011,
– le massacre des populations civiles de Duékoué au quartier carrefour les 28, 29 et 30 Mars 2011,
– L’attaque des villages d’Adebem, Godjiboué, Niégrouboué et Gobroko dans la sous-préfecture de Sago département de Sassandra en mai 2011,
– Le massacre des autochtones wê dans le camp de Nahibly à Duékoué en Juillet 2012.
Toujours selon le même rapport, il y aurait eu, au cours de ces évènements, plusieurs cas de :
– Homicides
– Viols,
– blessures graves,
– disparition,
– torture et de mauvais traitements,
– Enlèvement et séquestration,
– Déplacement forcé,
– Destruction de biens etc.
Face à ces crimes graves, le Président de la république avait promis en juillet 2011 lors d’une conférence de presse au siège de l’Organisation des Nations Unies (ONU) que« Il n’y aura pas d’exception. Les Ivoiriens seront traités de façon égale, spécialement dans la partie Ouest du pays où beaucoup de gens ont été tués.Ceux qui ont commis des crimes feront face au juge.Pas d’exception, nous sommes très clairs là-dessus »; Promesse avait encore été faite à Abobo en Avril 2015, en marge de l’inauguration de la voie expresse Abobo-Anyama que« Tout ceux qui ont commis les atrocités seront jugés … Je trouve inadmissible que ces personnes qui ont tué, qui ont brûlé des gens, qui ont violé des femmes, se conduisent aujourd’hui comme s’ils étaient des anges, comme s’ils n’avaient rien fait. » ce qui aurait permis aux victimes d’obtenir des réparations judiciaires. Pour se faire, des institutions comme la Cellule Spéciale d’Enquête et d’Instruction (CSEI) ont même été créées pour mener des enquêtes et apporter la lumière sur tous les évènements de la crise postélectorale.
D’ailleurs, des sources documentaires nous rapportant l’état d’avancement des procédures devant la Cellule Spéciale et d’Instruction (CSEI) nous indiquent que plusieurs dossiers avaient été traités par les cabinets d’instruction de la CSEI avec plus d’un millier d’inculpés et des centaines de personnes détenues.
Pendant que cette ordonnance arrive pour effacer les conséquences pénales de toutes ces infractions graves, mettre fin à toutes ces procédures et libérer tous les détenus, une seule question reste pendante sur les lèvres des victimes que nous sommes :
Quel est le sort réservé aux milliers de victimes de ces infractions graves dont les pénalités sont aujourd’hui effacées ?
Vivement que le Président de la République apporte des éclairages sur cette question surtout que le processus de réparation administrative qu’il a initié est marqué par une lenteur et des difficultés que les victimes de guerre s’expliquent difficilement. Pour s’en convaincre il suffit de noter que:
– L’avant-projet de loi relatif à la réparation s’éternise sur la table du Gouvernement ;

– Le processus de réparation est opaque et manque de lisibilité, car ni la base légale du processus de réparation, ni la liste des victimes de guerre, encore moins celles des personnes indemnisées ou en attente ne sont communiquées ;

– La base de donnée CONARIV sensée produire les listes des requêtes validées pour indemnisation est, selon les dires du Ministère “difficilement exploitable” ;

– Le poids important des éléments de preuve qui constituaient des obstacles infranchissables pour certaines victimes validées ou non par la CONARIV, à qui le ministère demande encore de produire des preuves supplémentaires justifiant la violation qu’elles allèguent avec ce que tous cela implique comme prix à payer pour obtenir le jugement supplétif de décès (de 30.000 à 50.000 FCFA),

– L’obtention des prises en charge médicales pour les blessés et les prises en charge scolaires pour les orphelins de guerre s’avère être un véritable “parcours du combattant” etc.

Tous nos appels pour l’amélioration du processus de réparation en cours sont restés sans réponses.
Cette situation nous laisse penser que les Victimes de Guerre de Côte d’Ivoire ont été sacrifiées sur l’autel des intérêts des politiques et ne verront jamais leur dignité restaurée. Pourtant, seule une réparation réussie est un gage de Paix durable.
La C.O.VI.C.I lance un appel donc à tous les acteurs Nationaux et Internationaux impliqués dans le processus de réparation pour que tout soit mis en œuvre afin qu’à défaut de voir une vraie réparation judiciaire se mettre en place en Côte d’ivoire, à défaut de voir les responsables des crimes contre les victimes et leurs proches traduits en justice et condamnés, qu’au moins le processus de réparation administrative soit inclusif, participatif, effectif et accessible à toutes les victimes de Guerre de Côte d’ivoire.
Pour finir, la C.O.VI.C.I prie le Président de la République de bien vouloir prendre une décision expresse afin que l’avant-projet de loi sur les victimes soit adopté et promulgué et qu’une ordonnance soit prise pour faciliter aux victimes l’acquisition de tous les documents nécessaires pour avoir droit aux réparations. Les victimes de guerre souhaitent enfin que toutes les actions a leur adresse soient faites sur la base de la vérité, de la reconnaissance et du pardon des torts qui leur ont été causés, ce qui constituent des éléments fondamentaux du respect des droits de l’Homme et des conditions sures pour garantir la non-répétion.

Pour la C.O.VI.C.I
Le Président du Conseil d’Administration
M. KANTE Lassina
01996968/07973497/07904575

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