Les anciens leaders de la FESCI à l’heure du rachat ?

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(A la mémoire de Papa Kamerun Nyamsi)

Une tribune internationale de Foua Ernest de Saint Sauveur
Ancien président de l’Association des Écrivains de Côte d’Ivoire

Dans le fatras des événements qu’une actualité de plus en plus bousculée, fait se succéder les uns aux autres, ces derniers temps, à un rythme ahurissant, je me suis focalisé sur la rencontre que le président de l’Assemblée Nationale, Guillaume Kigbafori Soro, a eue, le dimanche 18 mars 2018, en sa résidence privée de Marcory, avec ses anciens pairs dirigeants de la FESCI (Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire).

Cette rencontre, deux de mes confrères chroniqueurs, par ailleurs membres comme moi du Club International des Conférences de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire (CICAN-CI), s’y sont arrêtés, eux aussi, et l’ont soumise à leurs précieuses réflexions. Ce qui est intéressant, ils s’y sont appliqués, non pas sous l’angle de la convergence et de l’unanimité, mais plutôt sous celui de la divergence et de la contradiction. Il s’agit du juriste Pierre Soumarey et du philosophe Franklin Nyamsi.

Sans vouloir me livrer à un docte exercice d’explication de textes, pour chacune de ces figures de l’intellectualité africaine, il me paraît cependant nécessaire de vous donner un aperçu de leurs regards respectifs sur ces retrouvailles fraternelles entre les anciens leaders de la FESCI. Parce que nul citoyen ivoirien ne peut ignorer que Guillaume Soro a dirigé ce syndicat estudiantin, de 1995 à 1998. De sorte que son initiative d’accueillir, chez lui, ses anciens camarades syndicalistes, autour d’un repas, n’aurait dû susciter aucune suspicion, aucune réserve.

Sauf que Guillaume Soro n’est plus le frêle leader fesciste, hargneux et déterminé à défier l’autorité, et qui flottait néanmoins dans ses vêtements amples d’une mignonne ringardise. C’est désormais le Président du Parlement ivoirien ; le Vice-président du Rassemblement Des Républicains (RDR), parti au pouvoir ; une personnalité influente du Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), coalition politique qui gouverne la Côte d’Ivoire ; et surtout un homme d’État de premier plan. Qui a l’heur de paraître, aux yeux de nombre d’observateurs internes et externes, comme le légataire idéal du fauteuil présidentiel en 2020.

Et c’est justement au regard de cette probabilité et de la proximité de l’échéance présidentielle, que Pierre Soumarey n’applaudit pas aux retrouvailles entre Soro et ses amis d’hier de la FESCI. Oui, il veut bien reconnaître à la FESCI d’avoir été, dans un passé proche, « le fer de lance de la jeunesse, au plan idéologique et de la mobilisation ». Mais, note-t-il, « elle a toujours été inféodée à des personnalités et à un régime politique, au point de devenir l’instrument du Pouvoir de la Refondation entre 2000 et 2010, voire sa milice armée, mais elle n’a jamais œuvrée véritablement pour la cause estudiantine ».

Il s’agit bien, tient à préciser Soumarey, d’une organisation « initiatrice de méthodes violentes dans la société ivoirienne, voire fascisantes (terreur sur le campus, dans les cités et en dehors) » ! Qui « n’a jamais été animé d’un esprit démocratique, puisqu’elle n’a jamais toléré la différence et la contradiction. Son esprit est d’imposer, au besoin par la force » ! Une organisation à qui, relève le juriste, l’on ne se réfère qu’en termes « d’expéditions punitives, de machettes et de cadavres ». Et qui, tranche-t-il, « ne porte pas non plus en elle, une idée de progrès social, car l’intérêt général et la promotion du bien-être des étudiants et du peuple n’a jamais été sa préoccupation première » !

Avec un tel passif et une si mauvaise réputation, Soumarey n’en revient pas de « voir des prétendants à la magistrature suprême du pays, vouloir s’appuyer sur cette force, réactiver cet esprit, pour arriver à ses fins ». Il fait remarquer qu’il y a « des compromissions qui ne sont pas possibles, même si l’on a été forgé dans ce moule par le fait du mouvement des générations ». Et il finit par lâcher, sur un ton de moraliste, à l’intention de qui de droit, cette sentence courroucée : « On doit apprendre de l’histoire et grandir en maturité. Le désordre, la médiocrité et la violence, ne sont pas une option pour l’avenir d’un pays. Quand on aura tout essayé, gardons-nous, tout de même, d’aller fouiller dans les poubelles de l’histoire, pour renaître ».

On ne saurait avoir la dent plus dure, n’est-ce pas, pour reprocher à un citoyen d’ouvrir ses bras et sa maison à ses anciens compagnons du campus ? Mais, n’anticipons pas sur notre décryptage du ”réquisitoire” de Soumarey, relativement aux retrouvailles entre le Président de l’Assemblée Nationale, Guillaume Soro, et ses anciens pairs de la FESCI. Voyons, à présent, ce que pense le Professeur Franklin Nyamsi, de cette rencontre du 18 mars 2018.

J’ai parlé tantôt de ”réquisitoire”, n’est-ce pas ? C’était par effet de style. Par le même effet, je pourrais employer le terme de ”plaidoyer”, s’agissant de la réflexion du philosophe de Rouen, sur le même événement. Sans vraiment surprendre du monde, puisque ce fin analyste politique, est reconnu officiellement pour être le Conseiller du Chef du Parlement ivoirien, son ami et confident, depuis leurs lointaines années de complicités estudiantines.

Franklin Nyamsi ne voit, dans ces retrouvailles entre anciens dirigeants fescistes, rien que de très normal. Comme le juriste de Le Mans, il reconnaît que la FESCI a été un « fer de lance décisif », dans l’avènement du multipartisme en Côte d’Ivoire. Et il note que ce syndicat estudiantin, « a constitué pendant les années de braise 90, la masse volumique nécessaire pour donner à l’opposition un poids dans le rapport de forces stratégiques avec le pouvoir PDCI-RDA ».

En vertu de quoi, énonce-t-il, ce rapprochement entre anciens leaders de la FESCI, porte un sens éloquent : « Cette génération prend conscience, avec le recul du temps, de son importance dans l’Histoire des trente dernières années de la Côte d’Ivoire (…). Par ricochet, cette génération prend conscience pleinement de ses devoirs pour une Côte d’Ivoire meilleure. » Pour étayer davantage son idée, Nyamsi relève : « La FESCI découvre qu’en raison de ses propres divisions et dissensions internes mues par les opportunismes concurrents des forces politiques qui convoitaient sa puissance, elle n’est pas parfaitement à la place de choix qui aurait dû être la sienne dans ce pays qu’elle a pourtant marqué. (…). La FESCI recherche le sens de l’intérêt général qui fonda autrefois ses plus nobles combats ».

Pierre Soumarey et Franklin Nyamsi parlent, tous les deux, de ce que certains appellent « l’esprit de la FESCI » ; et ils commentent contradictoirement ledit « esprit ». Pour le premier nommé, l’esprit dont on peut créditer la FESCI, c’est celui de la force, de la violence, de la contestation et de l’intolérance. Cet esprit-là, assène le juriste manceau, n’a rien d’original chez des jeunes, cependant qu’il jure avec la démocratie, le progrès social et l’intérêt général. Pour Franklin Nyamsi, au contraire, il y a bien un « esprit FESCI » ; et celui-ci prend sa source et son dimensionnement dans le concept majeur de « solidarité ».

Voilà la substance des réflexions que les retrouvailles entre les anciens leaders de la FESCI, ont suggérées à ces deux analystes avisés. Ces analyses sont sous-tendues, chez l’un, par la peur et les réminiscences du passé ; et chez l’autre, par un enthousiasme et un optimisme bien compréhensibles. Leur caractère contradictoire renforce, me semble-t-il, le sentiment qu’elles valaient, toutes les deux, d’être faites et données en partage au public. Surtout qu’elles se rapportent à un évènement d’importance, qui m’apparaît comme une opportunité de rachat – Franklin Nyamsi dit la même chose, en parlant de « nouvelle chance » – , pour une génération qui s’est très tôt politisée, sans vraiment se professionnaliser en politique.

Une telle approche, Pierre Soumarey n’y songe même pas. Parce qu’il n’a pas gardé une bonne image ni une bonne réputation de la FESCI. Comme beaucoup d’autres Ivoiriens, chez qui l’image et les noms des anciens dirigeants de la FESCI – Martial Ahipeaud, Guillaume Soro, Charles Blé Goudé, Blé Guirao, Serges Koffi, Jean-Yves Dibopieu et autres Damana Pickass – passent encore mal. En dépit du temps. Soumarey se fait la bouche de ceux-ci, quand il regrette que l’école de la FESCI « a produit une nouvelle race de politiques et de leaders qui se sont illustrés de la plus mauvaise des manières. Ses deux anciens Secrétaires Généraux les plus emblématiques (Soro Guillaume et Blé Goudé) l’ont démontré, l’un avec la Rébellion et l’autre avec la Galaxie Patriotique, gravitant autour du FPI et du COJEP ». Ces Ivoiriens-là ont du mal à penser qu’ayant tété si jeunes, hier, aux mamelles de la violence et de l’intolérance, ces ex-leaders fescistes aient pu entre-temps faire leur mue et se payer une conduite de modèles et de conducteurs de peuples, aujourd’hui qu’ils sont devenus des adultes.

Comment blâmer ces personnes-là, de se tenir dans une posture de rigueur et de rejet, vis-à-vis de la FESCI, quand l’on se retourne sur ces années 1990-2010, que Nyamsi appelle « les années de braise » ? Ce sont des années qui ont vu, chez nous, en Côte d’Ivoire, l’Histoire et le mouvement social et politique s’emballer, tel un cheval qui prend le mors aux dents. Dans la perspective d’une recomposition, d’un nouvel ordre social et politique. Et la FESCI, avec l’élan caractéristique de sa nature (la jeunesse), y a pris une part prépondérante. D’abord, pour « tuer » le Père de la Nation, Félix Houphouët-Boigny, et son système de gérontes prédateurs ; et ensuite, pour lui substituer un autre Père, conforme aux couleurs populistes de la modernité et qui entreprendrait de « Refonder » le pays.

J’ai parlé tantôt de parricide, n’est-ce pas ? Oui, dans le cours de l’Histoire et des sociétés, il est constamment revenu aux fils de ”tuer” les pères. Mais on parle là d’une symbolique dont le sens réel et profond est que, au sein des communautés, les générations puissent se succéder en se surpassant les unes et les autres, du point de vue du génie créateur, de la faculté de production du beau, du bien, du progrès, de la positivité, et de la promotion de la solidarité humaine. Faire mieux, aller plus loin, dans ces registres-là, que la génération qui vous a précédée et vous a mis le pied à l’étrier : voilà la dimension de cette symbolique.

Certes, l’on peut convenir que cette génération des ex-leaders fescistes, a accompli son œuvre : ”tuer” Houphouët, le père. Ce dernier représentant, dans notre entendement, l’ordre politique et social ancien. Sauf que chez nous, quand les Fescistes et leurs mentors ont eu fini de ”tuer” Houphouët, ils n’ont pu solidairement lui trouver d’alternative heureuse. Ils n’ont pu propulser la société ivoirienne dans une trajectoire plus lumineuse. Au contraire, tout ce monde s’est coalisé dans l’action involutive, pour briser la belle trajectoire panafricaniste et humaniste, colorée et porteuse d’espérances heureuses, dans laquelle ce génie politique avait placé la Côte d’Ivoire avant de quitter la terre des hommes.

En sorte que, aujourd’hui, c’est toute la Côte d’Ivoire qui pâtit de ce parricide dramatiquement escamoté. Car, ici, la crise – dialectiquement parlant, le passage qualitatif d’un état ancien à un état nouveau – ne s’est pas opérée dans les règles de l’art. Et nous en sommes tous, à présent, à regretter et à rechercher fiévreusement, comme on dit dans le ghetto ivoirien, « Houphouët, avec torche, en plein midi ». Avec le curieux effet que, ceux qui hier ont été les plus excités à ”tuer” le Père, sont ceux-là mêmes qui le regrettent amèrement aujourd’hui. A titre d’illustration, cette confidence que m’avait faite, en tête à tête, le regretté Bernard Zadi Zaourou, dans son antre fétiche du Groupe de Recherche sur la Tradition Orale (GRTO), à Cocody Danga : « Nous avons houspillé, éreinté Houphouët. Nous l’avons attaqué et avons contesté les grandes réalisations de son règne : la Basilique de Yamoussoukro, l’Hôtel Ivoire, etc. Aujourd’hui, quand nous recevons des amis étrangers, c’est dans ces endroits-là que nous les emmenons en visite, remplis de fierté. »

Rappelons, pour bien cerner la dimension de cet aveu, que cet immense poète, créateur de l’esthétique théâtrale et littéraire du Didiga, fondateur de l’Union des Sociaux-Démocrates (parti membre de la ”Gauche révolutionnaire”), et ancien ministre de la culture sous Henri Konan Bédié, était le ”Père” idéologique, pour tous ceux – y compris, bien sûr, Gbagbo Laurent – qui se réclamaient de la ”Gauche” ivoirienne. Ce que l’intéressé, lui-même, n’a jamais caché ; comme on peut le relever dans son avant-dernier ouvrage Les Quatrains du dégoût. Sous l’image insolite et métaphorique du « vieux crabe distributeur de dents ».

Non, le devoir générationnel du parricide n’est pas banal. Et il donne à percer une vérité forte, essentielle : les générations ne peuvent avoir droit de cité, d’excellence et de mémoire, qu’à travers les avancées qualitatives, les progrès qu’elles permettent à leurs sociétés de réaliser. En lien avec ce devoir rituel, Franklin Nyamsi cite l’écrivain martiniquais Franz Fanon : « Chaque génération doit, dans une certaine opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. »

Oui, sans doute. Mais qu’est-ce que « remplir sa mission » ? Traduire en réalités tangibles sa vision des choses et de la vie ? Opérationnaliser cette vision, de bout en bout, dans toutes ses déclinaisons ? Par ailleurs, que recouvre l’idée de « trahir sa mission » ? Est-ce le fait d’y renoncer, volontairement, ou bien sous la contrainte et l’adversité ? Ou bien encore le fait de la fausser, de la bâcler, d’échouer à la concrétiser ? On peut croire que, pour l’individu, la mission c’est le thème ou le sujet qui donne de la validité à sa naissance, qui justifie qu’il soit né. Mais, à l’échelle d’une génération, à quoi renverrait la notion de mission ? Fanon nous laisse en héritage la résolution de ces équations, la latitude de l’envisager.

Le Professeur Nyamsi s’y est essayé, en conceptualisant, pour le compte des anciens leaders de la FESCI, la mission de leur génération. « Elle fut (hier), de donner à la lutte pour le pluralisme démocratique la force sociale nécessaire pour s’accomplir. Elle est, aujourd’hui, d’assumer, à l’abri des errements identitaires et tragiques qui ont failli livrer la Côte d’Ivoire aux abimes, une nouvelle mission : construire un consensus solidaire pour un pays gouverné par et pour les intérêts de ses populations, en tous domaines : santé, éducation, emploi, respect des droits humains, sauvegarde écologique, diversification économique, partage élargi aux plus démunis des fruits de la croissance, intégration africaine, sécurité. »

Si l’on suit bien le philosophe de Rouen, les anciens dirigeants de la FESCI ont su découvrir, hier, la mission de leur génération : être la force sociale nécessaire à l’accomplissement du pluralisme politique. Et ils l’ont accomplie. Aujourd’hui, ils doivent se donner une nouvelle mission : construire un pays consensuel, solidaire et exemplaire. Il ne le dit pas mais il le sait, en son for intérieur, le futé fils de Kamerun Nyamsi, que Fanon aurait tout aussi bien pu (et même dû) écrire : « Chaque génération doit, dans une certaine opacité, découvrir ses missions, les remplir ou les trahir ». Car la Providence est miséricordieuse, qui donne toujours aux humains une seconde chance, une possibilité de rachat.

Alors, y-a-t-il un sens de rachat dans la rencontre du 18 mars 2018, entre Guillaume Soro et ses anciens pairs de la FESCI ? De mon point de vue, oui. Franklin Nyamsi souscrit également à cette idée, qui parle, lui, de « nouvelle chance ». Et cela en vaut la peine. Car, comme on le voit avec le juriste Soumarey, beaucoup d’Ivoiriens pensent que la FESCI a davantage nui à l’école et à la société, qu’elle n’a profité à ces entités, qu’elle ne les a aidés à progresser. Eux-mêmes, ces anciens roitelets du campus, doivent sûrement ressentir cette forme de rejet à leur égard. Qui fait que, très peu de leurs compatriotes capitalisent leur apport dans l’avènement du pluralisme politique en Côte d’Ivoire. Et puis, si ce n’est pas, comme le suppute le Professeur Nyamsi, parce qu’ils ont découvert que leur génération « n’est pas parfaitement à la place de choix qui aurait dû être la sienne dans ce pays qu’elle a pourtant marqué », ces ex-leaders fescistes sont légitimes, en tant que nationaux encore remplis d’énergie, à envisager de se professionnaliser en politique. C’est-à-dire, de s’inscrire au registre du service public. Dont les modalités et les finalités n’ont absolument rien à voir avec le syndicalisme estudiantin ; rien à voir avec les fureurs et les excès, les aveuglements et les errements qu’ils ont montrés, hier, dans les cités universitaires.

Oui, ils sont légitimes à vouloir rectifier leur action, à vouloir servir leur pays d’un nouvel élan, plus mature, plus apaisé, plus responsable et conséquent. Ça tombe bien : leur hôte du jour, l’homme autour de qui ils pourraient prendre ce départ nouveau et qu’ils connaissent parfaitement, bénéficie d’une longue expérience de la gestion de la res publica. Les empreintes de valeurs dans lesquelles il place son action publique, et que ses admirateurs et autres inconditionnels appellent le « Soroïsme », lui valent, depuis une vingtaine d’années de présenter un profil de leadership politique rassurant. Son ambition ne s’attachant viscéralement qu’aux seuls intérêts du peuple, et son verbe étant toujours à la réconciliation, au pardon, au consensus et à la solidarité, au rassemblement et à la synergie des forces et des intelligences.

Pierre Soumarey, je le sais, entend bien cette notion de légitimité. Même s’il joue la carte de l’offuscation. En fait, le juriste manceau a une grosse inquiétude. Sous le coup des réminiscences du passé et de la peur que le radicalisme, l’intolérance et les violences fescistes ont générée, par le passé, chez nombre d’Ivoiriens, il s’interroge. Ces ex-Fescistes, dont le credo était le désordre, la médiocrité et la violence, ont-ils appris de l’histoire, ont-ils grandi en maturité ? Ces anti-modèles sont-ils bien avisés de prétendre, eux aussi, à gouverner ce pays ? Bien évidemment, sa réponse à ce questionnement est : Non ! On entend cela dans l’extrait de discours où il dit que les deux anciens Secrétaires Généraux les plus emblématiques de la FESCI, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé, se sont inscrits, exemplairement, dans la nuisance de « l’école » qui les a produits : le premier, avec la Rébellion et le second, avec la Galaxie Patriotique.

Sur la Rébellion, Guillaume Kigbafori Soro a écrit un livre où il donne les raisons de son engagement. Et ses explications se suffisent à elles-mêmes, pour que l’on y revienne. Pour ce qui relèverait de son ”addiction” à la violence née de sa période fesciste, on notera utilement que le garçon n’était plus à la tête de la FESCI, à l’heure où la violence meurtrière faisait irruption sur le campus de Cocody et dans les cités. Notons encore qu’il avait déjà quitté son poste de Secrétaire Général, au moment où la FESCI s’offrait, corps et âme, aux ambitions radicales, extrémistes et nationalistes du FPI. Ce qui instituerait, au sein de ce syndicat étudiant, la fracture idéologique et les dissensions internes. Aujourd’hui, Guillaume Soro est devenu une pièce maîtresse dans le jeu politique ivoirien, en ayant démontré, par l’action et le verbe exemplaires, sa stature d’homme d’État. Et si de nombreux observateurs de la vie politique ivoirienne, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, le voient assumer, dans un avenir plus ou moins proche, la charge suprême, c’est que cet ancien leader étudiant a « grandi en maturité », pour employer le mot de Soumarey.

Qu’en est-il de Blé Goudé ? Ce garçon apparaît comme celui par qui le FPI et Laurent Gbagbo ont « chipé » l’âme, la force et l’énergie de la FESCI et les ont perverties, en les mettant au service de leur ambition de conquête, vaille que vaille, du pouvoir d’État. Et « Gbapê » s’est enfoncé dans cette inféodation, même passé le temps du campus ; cheminant alors intimement avec le « Père » de la Refondation, du même pas que le bouquetin chemine avec le bouc. Leur élan et leur intimité de cheminement ont été si étroits, qu’ils sont tous les deux, aujourd’hui, prisonniers de la Communauté internationale, aux Pays-Bas, depuis la fin, en avril 2011, de la crise post-électorale.

Cependant, qui peut dire formellement que, depuis les geôles de La Haye, l’ancien « Général » de la rue abidjanaise et des Jeunes Patriotes du FPI, n’a pas pris la pleine mesure de son asservissement à Laurent Gbagbo et à son idéologie du national-socialisme tropicalisé ? Qui peut dire qu’il n’a pas encore eu l’avantage de faire la part du feu, de discerner et de distinguer entre les intérêts de la Côte d’Ivoire et les intérêts de son Mentor ? Parce qu’en réalité, en y songeant bien, une distinction peut être faite, entre le combat mené, ici, par Guillaume Kigbafori Soro et celui mené, là, par Charles Blé Goudé, tous deux issus de ce que le juriste manceau Soumarey appelle « l’école de la FESCI ».

Elle tient, cette distinction, en ce que le premier a combattu dans le sens de l’intérêt général, de la collectivité, alors que le second, lui, s’est battu pour pérenniser l’autorité d’un individu. Une autorité vivement contestée et contestable, au demeurant, qui avait induit calamiteusement dans la société ivoirienne le ver de la division et de la discorde. La leçon, ici, pourrait être la suivante : « Qui combat dans le sens de la collectivité et non de l’individu, combat auréolé de la faveur des hommes et de Dieu. »

Cela dit, il faut accorder aux hommes la faculté de pouvoir opérer un retour de conscience salutaire, surtout quand le temps leur est donné, par le fait de l’isolement et de l’enfermement, de poser un regard plus avisé sur leurs actes. Comme Blé Goudé l’expérimente, à cette heure. Son procès, à La Haye, n’est pas encore achevé et nul ne peut prédire que le natif de Niaprahio finira ses jours à Scheveningen. Il est encore jeune. Il pourrait être libéré et retrouver la Côte d’Ivoire, qui doit lui manquer, bien plus, on peut le penser, que l’air de la liberté. Et, dans cette éventualité, qui peut dire qu’il ne serait plus utile à son pays ? Qu’il ne pourrait plus se mettre désormais au service de la communauté nationale, dans une démarche et un esprit consensuels, solidaires et apaisés ?

Le FPI, lui-même, le parti fondé par Gbagbo, son âme damnée ; le parti par lequel le parricide a été acté en Côte d’Ivoire et la violence érigée en moyen de conquête du pouvoir d’État ; le parti enfin pour le profit duquel les « Patriotes » se sont raidis, successivement, contre la Commission Électorale Indépendante, le Conseil Constitutionnel et la Communauté internationale, suite au verdict de l’élection présidentielle d’octobre 2010 ; ce parti-là, dis-je, ne participe-t-il pas, actuellement, au jeu démocratique ivoirien ?

Même si le FPI n’a pas encore fait amende honorable et reconnu sa part de responsabilité dans la crise post-électorale et ses lourdes conséquences, les Ivoiriens ont pardonné son aventurisme à ce parti, et admettent qu’il puisse, un jour, revenir aux affaires. Cette attitude s’inscrit dans l’idée que l’homme est capable de sagesse, avec le temps ; qu’il peut racheter son âme et laisser éclater le meilleur de son être, même si par le passé il a flirté avec le Diable. L’on peut avoir cette attitude de tolérance et de rémission de leurs « péchés », vis-à-vis des anciens leaders de la FESCI.

Certes, hier, jeunes étudiants, ils ont contesté l’autorité publique, ont revendiqué intempestivement ce qu’ils estimaient être des droits inaliénables (les bourses d’études, le logement, le transport gratuit, la restauration, etc.), sans admettre que les choses venaient avec le temps. Ils ont actionné des grèves et paralysé, hors de toute mesure et de toute légalité, les espaces d’enseignement et d’éducation sur le territoire national (universités, écoles primaires, collèges et lycées, centres techniques, grandes écoles) de longues semaines durant, sans se soucier des préjudices que cela causait à la formation du citoyen ivoirien. Ils ont cassé, brûlé des biens publics et privés, sans se préoccuper des préjudices que leurs colères occasionnaient au corps social.

Mais, aujourd’hui que les ans leur sont venus sans crier gare, en même temps que les responsabilités civiles et sociétales, il est certain que le prisme par lequel ils voient désormais la société et leur participation à celle-ci, n’est plus le même. Aujourd’hui, ils savent ce qu’il en coûte à la collectivité que l’école soit paralysée des semaines durant par des grèves sauvages ; ce qu’il en coûte aux travailleurs du public et du privé, que les bus soient incendiés et les transports hypothéqués ; ce qu’il en coûte à l’économie nationale que des biens publics soient saccagés. Et si, à la faveur du sommet du 18 mars dernier, leur génération a pu, comme Franklin Nyamsi le leur concède, « prendre conscience pleinement de ses devoirs pour une Côte d’Ivoire meilleure », on ne peut que s’en réjouir.

C’est un devoir noble et sain, dont il n’y a pas lieu d’emblée de suspecter les anciens fescistes d’incapacité. Il leur faudra cependant conscientiser le fait essentiel que, les intérêts de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens (qui doivent être leur leitmotiv), ne sont pas dans les idéologies politiques creuses, les luttes de clans et de personnes, le sectarisme. Encore moins dans la quête égoïste de gloires ou de dividendes personnels. C’est pourquoi l’idée qu’ils ne seraient pas à la place de choix que leur activisme passé méritait, m’agace quelque peu. Si les intéressés avaient effectivement conçu cette idée, cela n’anoblirait point leur engagement. Car le missionné du service public ne doit se soucier que d’accomplir sa tâche d’intérêt général, avec amour, élévation et conviction. Laissant au Destin le soin de configurer les gloires personnelles, ainsi que les récompenses sociales et matérielles qui leur sont rattachées. De surcroît.

Concluons cette tribune par ce mot de Guillaume Soro, ancien Secrétaire Général de la FESCI, qui, tout en donnant le sens du sommet du 18 mars 2018, trace, pour le compte du collectif des anciens dirigeants de la FESCI, un schéma d’approche ou de réalisation, on ne peut plus logique et pertinent : « Dans ce pays, déclare le Chef du Parlement ivoirien, nous ne devons pas laisser falsifier l’Histoire. Qu’on le veuille ou non, le multipartisme a été restauré dans ce pays, grâce au combat de notre génération. Nous ne pouvons donc qu’être solidaires du présent et de l’avenir de notre pays. »

« Solidaires du présent et de l’avenir de notre pays ! » Hein, Pierre, n’est-ce pas là une vérité incorruptible ? Ne voilà-t-il pas là, un vœu noble et fort, que l’on peut humainement leur concéder, aux ex-leaders fescistes ? Parce qu’ils aiment leur pays et veulent le servir autrement. Parce que leur nation a besoin d’eux. Parce que la Providence est miséricordieuse. Parce qu’ils ressentent, profondément en eux, la nécessité du rachat ! Parce qu’ils entendent bien saisir cette nouvelle chance et donner, à la Côte d’Ivoire, à leurs concitoyens et au monde, la meilleure version d’eux-mêmes !

FOUA Ernest De Saint Sauveur
Ancien président de l’Association des Écrivains de Côte d’Ivoire

Source: guillaumesoro.ci

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