Le soroïsme oeuvre au-delà de la mêlée : L’Editorial de Franklin Nyamsi

1882

[ Publié / Modifié il y a

La littérature politique vient de s’enrichir de nouveaux mots fleuris en Côte d’Ivoire : « Homme du passé » ; « Joueur de bowling » ; « Politicien alimentaire » ; « gens qui prennent les armes pour faire la politique » ; « On ne fait rien avec lui » ; etc.

Ces échanges de rudes politesses d’un autre temps sont d’autant plus surprenants qu’ils sont l’œuvre de partis au pouvoir, qui paradoxalement, tout en étant et demeurant ensemble au pouvoir, se disputent déjà le pouvoir des années 2020. Ironie du sort : une alliance en plein exercice commun, dans le gouvernement, dans le parlement et dans le pays, se livre à gorge déployée par communiqués et meetings interposés, au pire des cauchemars imaginables par ceux qui, réellement, ont donné sang, sueur et larmes pour l’avènement de la république actuelle. Le galvaudage du pouvoir, livré à la risée des manchettes à scandales. Les perles, jetées aux pourceaux, comme dirait le Christ.

L’observateur qui regarde tout ce tintamarre avec lucidité ne peut dès lors échapper aux questions suivantes : 1) Quel est l’objet de la dispute entre les cadres de ces deux partis de la majorité au pouvoir ? 2) Le différend qui les oppose est-il utile à la Côte d’Ivoire ? 3) Comment la compagnie Soro, bien à l’écart de cette querelle des alliés fâchés, vit-elle ces passes d’armes médiatiques où la virulence n’a d’égale que l’inélégance des expressions ? J’essaie d’affronter ces trois questions dans la présente contribution, qui se veut une invitation à l’humilité des grands dans la politique ivoirienne contemporaine. Et cette humilité des grands, je le montrerai, est le style politique promu par le soroïsme, au-delà de toutes les mêlées qui ne prennent pas pour priorités, le pardon et la réconciliation des Ivoiriens, l’amélioration urgente de leurs conditions de vie, la construction d’une nation forte, capable d’affronter les grands défis de sa mémoire, du présent et de l’avenir.

De l’objet de la dispute : ni le présent, ni le passé, mais l’avenir personnel de dirigeants anciens…

A entendre les cadres du PDCI-RDA et du RDR qui se disputent depuis plusieurs jours par meetings et médias interposés, l’objet de leur querelle n’est pas le présent. Encore moins le passé de la Côte d’Ivoire.

Ce n’est pas le présent qui est en cause, car les cadres du PDCI-RDA et du RDR s’accordent à gouverner ensemble ce pays, depuis 2010, conformément aux accords qui les lient en une alliance houphouétiste depuis 2005. Au présent donc, le Président de la République est issu du RDR comme le Vice-Président de la République est issu du PDCI-RDA, de nombreux ministres de la République sont issus des deux partis, voire presqu’exclusivement de ces deux partis. Des Présidents d’institutions issus des deux partis oeuvrent ensemble. De nombreux directeurs d’administration et présidents ou PCA d’entreprises étatiques ou paraétatiques appartiennent aussi au PDCI-RDA comme au RDR. Le présent rassemble donc les deux partis, autour de la cogestion du pouvoir d’Etat.

Ce n’est pas non plus le passé qui oppose aujourd’hui les cadres en colère du PDCI-RDA et du RDR, car ils nous disent tous que ce passé a été cimenté par des Accords et des Appels transcendants. La guéguerre ivoiritaire PDCI-RDR des années 90, lorsque le RDR s’alliait au FPI contre le PDCI-RDA dans le Front Républicain, ne serait plus qu’un vieux souvenir. Ils ont tous oublié. Seule compterait désormais l’alliance de 2005 à Paris, au fondement du RHDP, sacro-sainte renaissance de l’houphouétisme éternel, selon une certaine antienne. Ensuite, le passé serait beau en raison de l’expérience plutôt satisfaisante du co-gouvernement RDR-PDCI du pays depuis la sanglante épreuve de la crise postélectorale de 2010-2011 jusqu’à ce mois de mars 2018. « Circulez côté passé, nous disent donc les hiérarques des deux partis, il n’y a pas le feu. »

Mais comment diantre expliquer la virulence des échanges qui ont marqué depuis le samedi 10 mars 2018, les rapports entre les principaux dirigeants du PDCI-RDA et ceux du RDR ?

L’on s’attache à nous faire croire, de part et d’autre, que c’est l’avenir qui est en cause. Côté PDCI-RDA, messieurs Guikahué et Billon nous assurent, la main sur le cœur et en se revendiquant du Président Bédié, que la candidature du PDCI-RDA au nom du RHDP, aux fonctions de Président de la République à l’élection 2020, a été garantie au parti soixantenaire en échange de l’Appel de Daoukro de septembre 2014. Et d’ajouter que cette promesse a eu lieu entre trois personnes : le Président Ouattara, le Président Bédié, et une tierce personne, dont le nom devrait devenir bientôt un secret de Polichinelle. Côté RDR, Madame Kandia, messieurs Bictogo, Cissé Bacongo et Touré Mamadou, très en verve, nous assurent depuis belle lurette, en se revendiquant du Président Ouattara, qu’aucune promesse de rétrocession de la Présidence de la République au PDCI-RDA n’a été faite. L’Appel de Daoukro serait donc, pour les caciques en colère du RDR, une autopromesse, n’engageant dès lors que celui qui y croit. Comme un auto-goal du PDCI-RDA…

C’est donc pour le contrôle de l’avenir, dans un pays dont la population est à plus de 80 % âgée de moins de 50 ans, que les partisans du Président Ouattara – né en 1942, soit il y a 76 ans- et du Président Bédié, né en 1934, soit il y a 84 ans – s’affrontent ces derniers mois. Mais au fait, l’avenir dont il est question dans cette affaire est-il réellement celui de la Côte d’Ivoire ? Rien n’est moins sûr, quand on sait que selon le mot répété du Président Alassane Ouattara , le Président Bédié, son aîné bien-aimé et lui-même n’auraient qu’une seule et même ambition pour 2020 : transmettre le pouvoir à une nouvelle génération. Citons in extenso d’ailleurs le Président Ouattara s’exprimant publiquement en mi- octobre 2016 :

« Notre souci, c’est de transmettre le pouvoir à une nouvelle génération en 2020. Qu’il n’y ait pas de doute là-dessus », a martelé Ouattara. Il a répété qu’il s’agit pour eux, de « préparer les prochaines générations ».[1]

Alors, question : si les Présidents Ouattara et Bédié s’apprêtent à transmettre le pouvoir à une nouvelle génération, comment comprendre que les cadres les plus représentatifs de leurs partis affichent pour l’un comme pour l’autre, l’ambition d’une nouvelle candidature à l’élection présidentielle de 2020 ?

De l’utilité douteuse du différend PDCI-RDA versus RDR pour la Côte d’Ivoire

L’analyste ne peut du reste que constater que ce qui oppose depuis des jours ces deux partis politiques, ce n’est pas une discussion sur la meilleure manière de gérer l’Etat. Ce n’est pas un débat sur les meilleures méthodes de lutte contre la corruption dans l’appareil d’Etat. Le PDCI-RDA et le RDR ne se disputent pas sur la meilleure façon de combattre les fléaux qui alimentent la misère quotidienne de millions d’Ivoiriens : la pauvreté de masse, la sous-éducation et la sous-qualification des jeunes, les difficultés d’accès à une santé publique et privée de qualité, le chômage massif des jeunes, l’insécurité des villes et campagnes, la question de la diversification de l’économie, le renouveau de la culture, la réorganisation de la politique écologique du pays, etc.

L’observateur lucide peut en convenir : la dispute PDCI-RDA versus RDR ne concerne pas les Ivoiriens pris en tenailles par un quotidien social, économique, politique, culturel et sécuritaire difficile. Elle se situe bien loin de leurs préoccupations les plus concrètes. C’est une querelle de partage du futur pouvoir d’Etat, entre gens qui gèrent déjà ensemble l’actuel pouvoir d’Etat. Une querelle d’ambitions particulières, bien à l’abri de la conscience de l’intérêt général des Ivoiriens.

La question qui s’impose enfin, inévitablement, est la suivante : comment la Compagnie Soro, tire-t-elle son épingle de ce jeu malsain inter-houphouétiste ? Pourquoi Guillaume Soro, Président de l’Assemblée Nationale, et membre jusqu’à ce jour du RDR et du RHDP, ne prend-il pas ouvertement parti pour l’un des camps de la querelle ?

Le soroïsme, au-delà de la mêlée : la conscience de l’Histoire et l’incarnation de l’Espérance

Guillaume Soro et les siens se tiennent à bonne distance de cette mêlée de la dispute du futur pouvoir pour au moins trois raisons : une raison historique ; une raison morale ; une raison politique.

Historiquement, loin d’être amnésique comme beaucoup de ces forts-en-thème de circonstances, Guillaume Soro est le Premier Ministre et Ministre de la Défense qui a contribué à l’installation effective du Président Alassane Ouattara à la Présidence de la République de Côte d’Ivoire. IL connaît le prix lourd, en sang, sueurs et larmes, que les combattants de la démocratie et le peuple de Côte d’Ivoire tout entier ont payés, pour que naisse l’actuel pouvoir et se consolide l’expérience démocratique nationale. Ce qui a été acquis au prix d’une lutte historique et tragique, après une dispute démocratique exceptionnelle, ne peut donc pas être galvaudé sur les planches de meeting par des propos à la limite de l’irresponsabilité vénielle. C’est donc par pudeur d’homme d’Etat, envers les souffrances des héros connus et cachés de l’avènement du RHDP au pouvoir que Guillaume Soro et les siens se tiennent à bonne distance des querelles d’héritage politique.

Moralement, Guillaume Soro, artisan du dialogue direct qui a rendu possible, en négociation avec Laurent Gbagbo en mars 2007, la mise en route du processus électoral 2010, sait l’importance d’aborder les échéances électorales dans les jeunes démocraties africaines avec lucidité, tact, professionnalisme, sérieux et rigueur. Aborder les arrangements électoraux entre alliés en plein jour, alors même que le Peuple de Côte d’Ivoire n’a été convaincu par personne de rien concernant son avenir en 2020, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Très cartésien en politique, Guillaume Soro est de ceux qui pensent qu’il faut décomposer une difficulté complexe en plusieurs difficultés simples pour pouvoir la résoudre.

Politiquement, Guillaume Soro, démocrate convaincu par la primauté de la souveraineté démocratique et populaire, a manifestement compris ce que de nombreux caciques du RHDP au pouvoir s’entêtent à ne pas comprendre : le Pardon et la Réconciliation, mais aussi l’amélioration concrète des conditions de vie des Ivoiriens sont les vraies urgences de ce pays. Les populations sont essentiellement intéressées par ceux qui s’intéressent à elles. C’est donc dans les efforts pour rassembler tous les Ivoiriens en nation éveillée, autour de valeurs et intérêts communs, par-delà leurs appartenances idéologiques, politiques, religieuses, ethniques ou régionales, que va se jouer la grande alliance que ce peuple de Côte d’Ivoire attend pour prendre résolument à bras le corps les grands défis de ce siècle : le défi culturel, socioéconomique, le défi écologique, le défi démocratique, le défi géopolitique et le défi spirituel.

La galaxie soroiste est donc sereine : que les ambitions s’expriment librement, que tous ceux qui veulent candidater à la présidentielle 2020 le fassent, que des caciques du PDCI-RDA ou du RDR estiment finalement qu’ils préfèrent confier leur avenir à des leaders qui ont eux-mêmes annoncé leur retraite, c’est l’affaire même de la liberté de ces partis en démocratie. Mais c’est leur avenir, mais alors leur propre et seul avenir qui est en jeu, et pas forcément celui de ce peuple en attente d’un vrai changement positif et durable. Pour l’essentiel, Dieu et le Peuple de Côte d’Ivoire, nous le subodorons, sauront donc reconnaître l’Homme de la situation ivoirienne imminente. L’espérance dans ce pays, est vivante.

Aux côtés des paysans, aux côtés des jeunes, aux côtés de travailleurs, des entrepreneurs, des artistes, des innovateurs, des intellectuels, des citoyens des campagnes et des villes, aux côtés des Ivoiriens de la Diaspora, aux côtés des étudiants et des élèves, aux côtés des malades abandonnés, aux côtés des prisonniers politiques, aux côtés du Peuple, Guillaume Soro poursuit la seule œuvre qui vaille la peine en ce temps : servir la liberté , le bien-être et la dignité de tous les Ivoiriens, sans exclusive. Toujours.

L’Editorial de Franklin Nyamsi
Professeur agrégé de philosophie, Paris, France

PARTAGER